Il ne s’agit pas ici de résumer le très riche parcours de Winston Churchill mais seulement d’éclairer quelques faits particuliers, parfois peu connus, qui devraient permettre de voir autrement ce très singulier personnage historique.
Par C.R.
Publié le 10/09/2025
Winston Churchill (en 1941) photographié par Yusuf Karsh, qui a intitulé ce portrait
Le Lion rugissant (The Roaring Lion). Le surnom de Churchill est en effet
« Le Vieux Lion ». Photographie : domaine public, via Wikimedia Commons.
Winston Churchill a reçu le prix Nobel de littérature en 1953, « pour sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour ses discours brillants pour la défense exaltée des valeurs humaines ».
D’après l’historien François Kersaudy, Churchill a en effet été l’un des plus grands écrivains anglais du XXe siècle, aussi bien par ses discours que par ses articles en tant que correspondant de guerre et par ses ouvrages très divers, notamment les six volumes de ses Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale (The Second World War) et les quatre volumes de son Histoire des peuples de langue anglaise (A History of the English-Speaking Peoples).
Churchill avait certainement un rapport très fort au langage, ce qui ressent dans ses répliques humoristiques et dans son usage de formules marquantes – parfois tellement connues qu'il n'est pas utile de les rappeler ici. Il est même sans doute le seul politicien dont des discours enregistrés ont été classés au hit-parade pendant un certain temps (quelques semaines après sa mort en 1965). Sa difficulté à prononcer le « s » ne lui avait d’ailleurs pas posé de problème, tout comme le bégaiement du roi Georges VI (qui fait l'objet du beau film de Tom Hooper : Le Discours d'un roi*) ne l’avait pas empêché de prononcer le discours d’entrée en guerre du Royaume-Uni contre Hitler en septembre 1939.
Winston Churchill était aussi un artiste peintre – tout comme son ennemi historique, Adolf Hitler. Ayant commencé à peindre à partir de 1915, il a signé plus de cinq-cents tableaux.
Une anecdote suggère qu'il avait un certain talent ; en 1922, alors qu’il peint en extérieur à Cannes, un passant se penche sur son chevalet, le félicite et l’encourage à persévérer dans la peinture. Il demande alors aux personnes présentes autour de lui qui est cet homme et on lui explique qu’il s’agit d’un Espagnol nommé Pablo Picasso. Il est d’ailleurs dommage que Picasso ne soit pas allé faire un tour à Munich à la même époque, pour conseiller à un autre peintre-politicien de s’en tenir à une carrière exclusivement artistique.
On dit souvent que Winston Churchill a décrit Mohandas Karamchand Gandhi comme un fakir séditieux à moitié nu. A-t-il dit exactement cela et, surtout, pourquoi : dans quel contexte et dans quel but ?
Même si ce propos engage des personnages historiques de la plus haute importance (Churchill et Gandhi) dans une série d’événements qui ont changé la face du monde (l’indépendance des Indes – autrement dit du Pakistan, de l’Inde et du Bangladesh – et le crépuscule de l’empire britannique), il est relativement difficile d’y voir clair, parce que les citations sont souvent parcellaires, recombinées et non sourcées, avec des interprétations parfois biaisées.
L'enchaînement des faits principaux permet de mieux comprendre l’étrange remarque de Churchill sur Gandhi.
Le 6 avril 1930, à l’issue d’une longue marche (appelée a posteriori « marche du sel »), Gandhi, parti d’Ahmedabad avec 79 compagnons et désormais accompagné de milliers de sympathisants, recueille dans ses mains un peu d’eau salée au bord de l’Océan indien. Par ce geste symbolique, il propose aux Indiens de braver l’interdiction de récolter eux-mêmes du sel, alors que l’Empire britannique a le monopole de la vente de sel, avec un impôt auquel doivent se soumettre les Indiens.
Le 4 mai, suite à ce geste jugé comme un acte de sédition, il est emprisonné, tout comme 60 000 autres personnes coupables d’avoir fait évaporer de l’eau de mer pour récolter du sel. Il ne sera libéré que plusieurs mois plus tard.
Le 17 février 1931, Gandhi se rend au palais du vice-roi des Indes pour négocier un accord.
Le 23 février – donc 6 jours après cette rencontre entre le vice-roi des Indes et Gandhi –, Churchill prononce un discours au Council of the West Essex Unionist Association, avec la fameuse attaque contre Gandhi.
Le 24 février, le texte de ce discours est cité dans le journal The Times, sous le titre « Mr Churchill on India ».
Voici le passage en question :
« Cela donne à la fois le frisson et la nausée de voir M. Gandhi, avocat de l’Inner Temple [une des quatre associations d’avocats à Londres] qui se pose désormais en fakir séditieux semblable à ceux qu’on connait bien en Orient, gravir à moitié nu les marches qui mènent au palais du vice-roi, tandis qu’il continue d’animer et de diriger une campagne de défiance et de désobéissance civile, pour y négocier d’égal à égal avec le représentant du roi-empereur. »
(« It is alarming and also nauseating to see Mr. Gandhi, an Inner Temple lawyer, now become a seditious fakir of a type well known in the East, striding half-naked up the steps of the Viceregal Palace, while he is still organizing and conducting a defiant campaign of civil disobedience, to parley on equal terms with the representative of the King-Emperor. »)
Churchill adresse ainsi trois critiques principales contre Gandhi, qui sont toutes des accusations de duplicité. La première critique porte sur la communication de Gandhi : Churchill suggère qu’il s’est créé un personnage correspondant à un type de sage oriental pour avoir du succès aux Indes, alors même qu’il a été avocat dans le cadre éminemment londonien de The Honourable Society of the Inner Temple – dont le nom lui-même évoque une sorte de religion culturelle que ferait semblant de renier Gandhi. Sa deuxième critique porte sur une autre forme de duplicité : celle qui consiste à aller boire le thé (comme le montrent certaines photos) auprès du vice-roi – représentant la couronne impériale britannique – tout en cherchant à soustraire les Indes à cet empire au même moment. Enfin, Churchill critique l’idée de cultiver une image d’humilité très poussée tout en se faisant recevoir comme une sorte de souverain.
La réponse tardive de Gandhi à Churchill
Plusieurs années plus tard, en 1944, Gandhi a fait allusion au discours de Churchill de 1931 sur lui-même, dans une lettre que voici :
Monsieur le Premier ministre,
On dit que vous désirez écraser le simple « Fakir nu », comme vous me décrivez. J’essaie depuis longtemps d’être un « Fakir », et être nu est une tâche plus difficile. Je considère donc cette expression comme un compliment, bien qu’involontaire. Je m’adresse donc à vous en tant que tel et vous demande de me faire confiance et de m’utiliser pour le bien de votre peuple, du mien et, à travers lui, pour celui du monde.
Votre sincère ami,
MK Gandhi
Le Times considérera en tout cas Gandhi comme l’homme de l’année 1931. En effet, c’est cette année-là – donc quelques semaines après sa libération et sa rencontre du vice-roi des Indes – qu’il se fera connaître dans toute l’Europe : à Paris, à Londres, à Genève et à Rome, où il verra Mussolini mais pas le pape Pie XI, peut-être à cause de sa tenue.
À Londres, Gandhi est hébergé au Kingsley Hall, une sorte de refuge servant la soupe populaire (où se trouve aujourd’hui une fondation Gandhi) et il participe à la deuxième (il était en prison au moment de la première) table ronde (au palais Saint-James) sur la question de l’indépendance indienne. Les trois tables rondes successives ont lieu à l’instigation du premier ministre travailliste Ramsay MacDonald, auquel s'oppose bien sûr le député conservateur Churchill. C'est lors de cette deuxième table ronde que Gandhi déclare : « je veux une indépendance totale » (« I want complete independence »).
Effectivement, seize ans plus tard, en 1931, Gandhi, le petit homme à demi-nu, a bien réussi à obtenir l'indépendance indienne et donc à vaincre l’Empire britannique, qui avait été le plus grand empire de l’histoire de l’humanité, couvrant plus de 35 millions de km² en 1920, soit un quart des terres émergées à la surface de la Terre.
Le film Gandhi de Richard Attenborough a bien mis en images (le film a obtenu huit oscars) le parcours très étonnant de Gandhi, qui est, comme Churchill, un des personnages historiques les plus emblématiques du XXe siècle.
Gandhi représenté sur un mur de graffitis urbains (à La Rochelle).
© 2009 C. Rubin. Tous droits réservés.
Cependant, si Gandhi a eu raison contre Churchill en ce qui concernait l’indépendance indienne, Churchill a eu raison contre Gandhi en ce qui concernait l’Europe.
En effet, les lettres de supplications – au nom de la non-violence – adressées par Gandhi à Hitler (dans son article pour Les Inrockuptibles, Louise Hermant en a cité quelques extraits) peuvent, au mieux, être considérées comme naïves (il faut une grande méconnaissance géopolitique, idéologique et psychologique pour imaginer qu'une gentille lettre amicale pourrait interrompre le projet d'un dictateur fou et surarmé), tandis que la résistance de Churchill à la violence du IIIe Reich et la contre-offensive militaire dont il a été un artisan étaient à l’évidence indispensables et fondées sur une profonde lucidité.
Après avoir perdu la majorité après la Deuxième Guerre mondiale (les électeurs ne lui ont pas su gré d’avoir été une sorte de lanceur d’alerte après la conférence de Munich de 1938, quand il a expliqué que Hitler n’allait pas s’arrêter et qu’il avait un plan de guerre, et l’artisan de la résistance britannique à l’agression allemande), Churchill est finalement redevenu premier ministre à la fin du mois d’octobre 1951, soit quelques semaines avant le couronnement d’Elisabeth II (début février 1952).
Elisabeth II était la sixième souveraine britannique depuis que Churchill avait commencé sa carrière politique (quand il a été élu député pour la première fois, en 1900, la reine Victoria régnait encore). Il a donc été, en quelque sorte, le mentor de cette jeune reine (qui avait alors 25 ans), en l’informant sur le protocole mais aussi sur la géopolitique (dont il avait une conscience particulièrement aiguë puisqu’il avait prévu non seulement la Deuxième Guerre mondiale mais aussi la Première dès 1911), tout en lui racontant ce qu’il avait vécu, notamment auprès de son père Georges VI et lorsqu’il était militaire et correspondant de guerre.
Churchill a en effet été correspondant de guerre dans différents pays, notamment les Indes (à Bangalore et dans le Malakand, une région de l’actuel Pakistan), le Soudan et l’Afrique du sud, où il a été fait prisonnier avant de s’évader.
Il y a d’ailleurs un lien, chez Churchill, entre son parcours de journalisme de guerre et la passion des gros cigares. Ce lien est facile à établir : c’est en arrivant à Cuba en 1895, comme correspondant de guerre, que Churchill avait découvert les cigares cubains : les habanos, qu’il aura à la bouche jusqu’à la fin de sa vie.
La perplexité du cardiologue de Churchill
Le cardiologue de Winston Churchill a considéré ce dernier comme un « cas d’étude », dans la mesure où cet homme en surpoids, gros consommateur de whisky et de cigares, sédentaire et stressé qui plus est, a quand même atteint l’âge de 91 ans.
Il a exprimé toute sa perplexité dans un petit texte intitulé Reflections of Churchill's personal cardiologist, où il livre des remarques à la fois médicales et personnelles sur la santé du vieux lion.
Comme beaucoup d'autres hommes d'État, Churchill s'est interrogé sur la possibilité d'une vie extraterrestre : sur l'existence éventuelle d'autres civilisations loin de la Terre. Il ne s'est pas contenté de s'interroger, il a écrit un essai (de 11 pages) intitulé Sommes-nous seuls dans l'univers ? (Are We Alone in the Universe?) peu de temps avant de devenir premier ministre. Ce texte, écrit en 1939 (puis modifié dans les années 1950, signe de son intérêt persistant pour ce sujet) est conservé au National Churchill Museum aux États-Unis/ Le chercheur Mario Livio l'a étudié pour publier un article en 2016 dans la revue scientifique Nature. Le texte de Churchill se caractérise en effet par une approche inspirée par la science, avec une série de questions précises (par exemple sur la notion de zone habitable, à la surface d'autres planètes du système solaire ou en dehors, et sur la possibilité d'un voyage sur la Lune), mais aussi par une grande ouverture à toutes les hypothèses possibles. Il ne s'interdisait pas de penser que des créatures plus intelligentes que les humains puissent exister quelque part.
Vous pouvez lire un ouvrage de François Kersaudy, notamment Winston Churchill : le pouvoir de l'imagination.
Vous pouvez également voir des documentaires ou un film biographique.
* Sur cette page, des liens d'affiliation (en bleu clair) vous dirigent sur le site d'Amazon. Ils ont deux buts.
Le premier est de vous permettre d'identifier les livres, les films ou les autres produits culturels dont il est question.
Le second est de contribuer à la rémunération du temps de rédaction des articles : les liens d'affiliation permettent le versement d'une commission de quelques pourcents en cas d'achat.
L'élaboration de ces articles et de ces fiches implique beaucoup de travail (surtout quand il ne se voit pas) donc du temps. Il faut en effet mobiliser, rassembler, vérifier et trier beaucoup de connaissances avant de structurer, de rédiger et d'illustrer chaque article (puis de l'améliorer à plusieurs reprises pour le rendre plus précis, plus clair voire plus intéressant quand c'est possible).