Le film Planète interdite : un grand classique du cinéma de science-fiction et une source inépuisable de réflexions sur le monde présent et futur

Dans son film 2001, l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968), Stanley Kubrick a mis en scène de façon magistrale la possible perte du pouvoir de l’humanité face à sa création : l’intelligence artificielle.

Douze ans plus tôt, pourtant, un autre grand classique du cinéma de science-fiction, Planète interdite (Forbidden Planet, sorti en avril 1956) de Fred McLeod Wilcox, avait montré l’inverse : l’incapacité d’une machine (un robot sympathique, surpuissant et presque omnipotent) à protéger les humains d’eux-mêmes, plus exactement de l’effrayante monstruosité générée par l’amplification et par la libération de leur être profond.

Planète interdite aurait pu n’être qu’un film de science-fiction parmi beaucoup d’autres mais, avec du recul, il s’avère particulièrement prenant et stimulant. C’est peut-être dû en partie au dramaturge qui a fourni l’idée de base du scénario : un certain William Shakespeare ; mais le film bénéficie également d’une élaboration esthétique très particulière et les connaisseurs y voient souvent un chef-d’œuvre, aussi bien en ce qui concerne l’image que la bande-son, avec des innovations marquantes.

 

Par C. R.

Publié le 22/09/2023

Comment commence le film ?

 

Nous sommes en 2257. Les membres de l’expédition du Bellérophon, partie explorer la planète Altaïr IV, n’ont plus donné de nouvelles depuis dix-neuf ans déjà. Une nouvelle équipe vient donc les secourir, en espérant trouver des survivants. Ils sont à bord du vaisseau « United Planets Cruiser C-57D » commandé par John J. Adams (incarné par l’acteur Leslie Nielsen), lequel est secondé par le lieutenant Ostrow (Warren Stevens).

 

 

À l’approche de cette planète, le commandant parvient à établir une liaison radio avec l’unique survivant de l’expédition initiale : le professeur Edward Morbius (Walter Pidgeon), qui demande d’emblée aux arrivants de rebrousser chemin. Il réitérera par la suite avec insistance cette étrange demande.

 

John J. Adams et son équipage atterrissent malgré tout sur cette planète, dont ils admirent la beauté et les deux lunes. Ils voient tout à coup apparaître au loin un étrange tourbillon de poussière qui s’approche d’eux avec une rapidité déconcertante. Il s’agit en fait d’un véhicule – qui évoque un dissipateur thermique pyramidal – sur lequel est juché un robot.

 

 

Après un instant de peur et d’étonnement, ils constatent que ce robot vient simplement les accueillir et les inviter à l’accompagner jusqu’à l’étrange maison du professeur Morbius : une coupole de verre insérée dans l’environnement désertique de cette planète. Ils découvrent plus tard qu’il a une fille, née sur la planète Altaïr IV et prénommée – logiquement – Altaïra (Anne Francis). Sa mère est morte après sa naissance, tout comme les autres membres de l’expédition. La jeune fille, qui n’a que dix-huit ans, surprend les hommes qui arrivent par son extrême ingénuité, notamment lorsqu’elle s’émerveille de leur beauté et les compare les uns aux autres à voix haute, comme elle le ferait devant de jeunes animaux domestiques.

 

 

Le professeur raconte en partie leur histoire et présente plus en détail les capacités de son robot, nommé Robby : doué d’une intelligence stupéfiante, il peut parler et comprendre des centaines de langues et synthétiser n’importe quel matériau. Il est aussi doté d’une force sans limite mais il se bloque quand on lui demande de faire du mal à un être humain : il subit alors une sorte de court-circuit qui le met en surchauffe et empêche toute action.

 

 

On apprend plus tard que le professeur Morbius a découvert qu’une étrange civilisation a habité cette planète 2000 siècles plus tôt : les Krells. Un peu comme les habitants de la mythique Atlantide, ceux-ci étaient extrêmement intelligents et incroyablement avancés – même par rapport à la technologie humaine de l’an 2257 – mais ils avaient, eux aussi, disparu subitement. Le professeur révélera ensuite qu’ils avaient laissé un moyen d’accéder à leurs connaissances et à leurs capacités technologiques.

 

Un autre personnage – ou du moins une entité étrange et particulièrement inattendue – fera irruption et permettra aux spectateurs de comprendre pourquoi le professeur Morbius avait demandé plusieurs fois à ses hôtes de repartir le plus vite possible.

 

Attention : si vous ne connaissez pas encore le film, ne lisez pas la suite car certains éléments factuels y seront dévoilés ponctuellement : la fin ainsi que l’explication de l’origine et de la nature de l’entité en question. Achetez plutôt le film Planète interdite avant de lire, plus tard, la suite de cet article.

 

 

Un scénario inspiré par La Tempête de Shakespeare dans une ambiance de western

 

Si le scénario final de Planète interdite est signé par Cyril Hume (qui avait aussi rédigé le scénario de plusieurs films de la série des Tarzan avec Johnny Weissmuller), l’histoire a été élaborée au préalable par Irving Block (qui s’est aussi occupé des décors) et par Allen Adler, à partir d’une pièce de théâtre du début du XVIIe siècle : La Tempête (The Tempest) de William Shakespeare.

 

Cette pièce est fondée sur l’histoire d’un duc italien, Prospero, qui a été exilé par son frère sur une île déserte où il vit avec sa fille, Miranda. Prospero possède des livres qui l’obsèdent et lui donnent accès à des connaissances très avancées, lesquelles lui permettent de développer des capacités magiques et de maîtriser deux êtres étranges : Ariel, un génie de l’air bénéfique, et Caliban, un monstre maléfique. Suite à une tempête, le roi de Naples et son équipage s’échouent sur l’île et subissent les effets de la magie de Prospero.

 

La correspondance entre les personnages est assez évidente : Morbius correspond à Prospero ; Altaïra, à Miranda ; Robby, à Ariel ; le monstre invisible, à Caliban ; le commandant Adams, au roi de Naples.

 

Si cette pièce de Shakespeare a constitué la source de beaucoup d’œuvres littéraires, musicales et picturales, elle a commencé à inspirer le cinéma avant même Planète interdite. C’est d’ailleurs peut-être un film sorti huit ans plus tôt qui a fait germer l’idée d’une transposition encore plus audacieuse : La Ville abandonnée (Yellow Sky, 1948), un western de William Wellman avec Gregory Peck. On y voit un vieil homme vivant avec sa petite-fille en plein désert, dans un lieu autrefois habité, où une richesse cachée provoque une démesure meurtrière et destructrice : l’or.

 

D'ailleurs, Planète interdite se rapproche parfois de l'univers du western : on y trouve l’idée de la colonisation d’espaces hostiles (l’histoire américaine étant effectivement passée de la conquête de l’Ouest à « la conquête et la colonisation de l’espace », évoquée dès les premières phrases du film) dans un environnement désertique et esthétique, l’opposition frontale entre le Bien et le Mal, des personnages isolés dans un environnement naturel qui semble illimité, la perception de l’arrivée de cavaliers par l’approche de nuages de poussière, la nécessité d’utiliser des armes à feu et de se protéger par des dispositifs circulaires d’assaillants d’abord invisibles (les Indiens cachés), etc.

 

L’exploration des limites

 

Précisons d’abord de quelles limites il s’agit :

  • celles de la puissance d’une machine (le robot Robby) dotée d’une morale trop humaine ou trop intrusive (un « sur-moi » un peu trop envahissant, aurait peut-être expliqué Sigmund Freud) mettant en péril ceux qu’il est censé protéger du fait de son incapacité à agresser l'agresseur ;
  • celles de la puissance créatrice du cerveau d’un être humain particulièrement intelligent (le professeur Morbius), aidé de surcroît par une machine démesurée (l’ordinateur des Krells, toujours opérationnel après 200 000 ans : un dispositif technologique souterrain s’étalant sur plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur et de côté) à laquelle il se connecte physiquement grâce à une sorte de casque pour amplifier ses capacités intellectuelles de façon démesurée ;
  • celles de la transmission des connaissances héritées d’une civilisation passée : le film constitue en quelque sorte une défense de l’ésotérisme dans la mesure où la fin révèle le danger mortel engendré par l’exploitation sans garde-fou d’un savoir trop avancé : le professeur Morbius apparaît comme un savant non initié qui s’approprie une technologie et un savoir qui le dépassent, un peu comme une sorte de « Prométhée moderne » (c’est le sous-titre du roman Frankenstein que Mary Shelley avait publié en 1818).

 

 

L’une des morales du film est qu’il vaut mieux détruire toute l’installation donc toutes les connaissances des Krells par crainte que quelqu’un puisse en faire un mauvais usage par la suite. En effet, comme eux, le professeur Morbius n’a pas su se donner de limite ni retenir un processus destructeur engendré par l’activité amplifiée de son cerveau. Il illustre d’une certaine façon l’adage de Blaise Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête » (Pensées).

 

Un autre savant maléfique du nom de Morbius

Morbius, le nom du savant, sera aussi celui d’un autre personnages de la pop culture : dans le comic book Spiderman (Marvel Comics), l’un des ennemis du héros est le docteur Michael Morbius, alias Morbius. Le nom de cet anti-héros est d’ailleurs devenu récemment le titre d’un film (Morbius, sorti en 2022, de Daniel Espinossa) qui est le troisième parmi ceux de la franchise Sony's Spider-Man Universe produits par Columbia Pictures et Marvel Entertainment.

 

Le professeur Morbius constitue en tout cas un exemple de tentative d’amélioration de l’être humain grâce à une interface homme-machine. Il est donc possible d’y voir un cas de transhumanisme.

Le film Total Recall explorera d’une autre façon les possibilités qu’un cerveau puisse intégrer une autre mémoire que la sienne, notamment avec les questions qui en découlent concernant l’identité et la réalité, dont les limites sont forcément remises en question.

 

Il est important de préciser que si une première morale du film montre que la destruction de la machine des Krells est inévitable pour éviter d'autres catastrophes, une seconde morale peut être tirée du fait que le robot Robby est emmené par l'équipage comme l'un des leurs. Un tel robot – avec les technologies qu'il représente – a donc toute sa place dans la société humaine de l'an 2257.

 

 

Pourquoi le film reprend-il la théorie des archétypes de Carl Gustav Jung pour évoquer l’exploration des limites ?

 

Planète interdite fait assez clairement allusion à l’un des archétypes de Carl Gustav Jung (dont l’ouvrage Les Racines de la conscience avait paru juste avant l’écriture du scénario de Planète interdite) : l’« ombre », la part cachée correspondant aux complexes inconscients. La machine géante et vertigineuse qui prend une immense place à l'intérieur de la planète peut en effet être vue comme la métaphore du cerveau. Morbius la connecte d’ailleurs avec son propre cerveau à l’aide d’un casque qui sert d’interface. On comprend plus tard que c'est l'amplification des pulsions inconscientes du savant qui génèrent le monstre invisible.

 

Un célèbre monstre pictural

Le peintre surréaliste Max Ernst a aussi représenté (sur une toile de 1937) un monstre venu de l’intérieur, L’Ange du foyer, une sorte d’animal hybride dont la silhouette évoque une croix gammée quand on cligne rapidement et plusieurs fois des yeux. L’artiste voulait ainsi évoquer le franquisme, monstre politique émanant d’une partie de la population locale mais nourri par le nazisme qui l’a soutenu en lui donnant un peu sa forme. Le film Planète interdite ne peut qu’être hanté, lui aussi, par le spectre du nazisme, vaincu dix ans à peine avant le tournage du film (qui s’est déroulé au printemps 1955).

 

Selon Jung, le développement du nazisme en Allemagne montre ce qui se passe lorsque « l'image archétypique que l'époque ou le moment produit prend alors vie et s'empare de tout le monde ».

 

La matérialisation des pensées dans la SF

D’autres films de science-fiction ont traité le thème de la matérialisation des pensées : par exemple Sphère de Barry Levinson (avec Dustin Hoffmann, Sharon Stone et Samuel L. Jackson) d’après un roman de Michael Crichton, qui est aussi l’auteur du roman Jurassic Park (Crichton a lui-même transformé son roman en scénario pour le film de Steven Spielberg) et de La Variété Andromède, roman adapté par Robert Wise pour son film Le Mystère Andromède.

 

 

De la mythologie à la haute technologie en passant par l’alchimie

 

Le premier vaisseau disparu sur la planète s’appelait Le Bellérophon, ce qui rappelle un épisode mythologique : le roi de Corinthe Bellérophon avait utilisé Pégase pour voler (comme le vaisseau spatial) afin d’aller tuer la Chimère, en fondant sur elle pour la frapper mortellement. En effet, comme la Chimère, création hybride élevée par un autre roi, Iobatès, le monstre de Planète interdite est une création artificielle émanant du professeur Morbius. Si cette créature monstrueuse du film est normalement invisible, elle laisse quand même des traces sur le sol et sa silhouette lumineuse apparaît quand l’équipage tire sur elle avec ce qui nous apparaît comme un laser (acronyme de light amplification by stimulated emission of radiation : un faisceau cohérent de lumière amplifiée) ; mais comme cette technologie n'apparaît véritablement qu’en 1960, on peut penser qu'il s’agit plutôt d’un maser (acronyme de microwave amplification by stimulated emission of radiation : un faisceau cohérent de micro-ondes amplifiées), inventé en 1953 par Charles Townes (qui obtiendra le prix Nobel de physique en 1964). Grâce à ces rayons et au champ de force auquel se heurte le monstre, ce dernier apparaît et on voit alors qu’il pourrait ressembler à la Chimère: sa gueule est un peu celle d’un lion monstrueux et rien n’interdit de penser que la partie postérieure de son corps est celle d’un serpent ou d’une chèvre. 

 

Pour aller plus loin dans l'exploration de la mythologie, le Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal reste incontournable.

 

Cependant, si la mythologie antique est bien présente dans Planète interdite, on pourrait y déceler aussi des allusions plus discrètes à l’alchimie. En effet, le robot Robby pratique la transmutation : il peut synthétiser n’importe quelle matière, comme un alchimiste transformant le plomb en or. Quant à son maître, le professeur Morbius, il évoque un autre aspect de l’alchimie : la transmutation de l’alchimiste lui-même, autrement dit l’éveil de conscience, pour développer des pouvoirs illimités, grâce à une sorte de casque à trois branches – préfigurant le casque Halo Sport de la start-up californienne Halo Neuroscience – le connectant à la machine démesurée des Krells (qui a peut-être été inspirée par le film Metropolis de Fritz Lang).

 

 

Jung a d’ailleurs écrit un livre important consacré aux archétypes présents dans l’alchimie : Psychologie et alchimie, où il a montré que cette étude ésotérique permet d’aborder les aspects les plus mystérieux de la matière et de l’esprit humain.

 

 

La véritable star du film : le robot Robby, être éthique et objet esthétique

 

À l’instar du western Le Bon, la Brute et le Truand, Planète interdite aurait ainsi pu s’intituler Le Robot, la Bête et le Savant puisque, dans la lutte à mort qui se joue entre les trois personnages les plus puissants, Robby représente la bonté et inspire une sympathie sans faille en se montrant plus humain (altruiste et un peu naïf) que son maître.

 

À la sortie du film, la communication était ambiguë quant à l’identité de Robby : s’agissait-il d’un véritable robot autonome ou d’un simple accessoire avec un comédien à l’intérieur ? Étant donné la technologie de l’époque, il ne pouvait bien sûr s’agir que de la seconde option. Pourtant, une sorte de fascination conduit le spectateur du film à oublier de s’interroger sur les conditions de tournage : parce que le robot est particulièrement réussi esthétiquement (on n’est plus dans le recyclage d’accessoires de cuisine en fer blanc mais dans la création d’un superbe design d’acier et de verre) et parce qu’il prend vie en tant que personnage humanisé. Il s’agit en effet d’un androïde réussi qui outrepasse largement tout ce que pourrait réaliser un être humain.

 

Il est en effet doté :

  • d’une grande intelligence (symbolisée par l’ampoule allumée au sommet de l’emplacement de son cerveau, ce qui évoque aussi les appareils électroniques à lampe de l’époque du tournage du film, notamment les premiers ordinateurs),
  • d’une grande faculté d’apprentissage (il maîtrise des centaines de langues, préfigurant ainsi la traduction automatique actuelle, avec ses applications célèbres et ses recherches plus discrètes mais prometteuses car disruptives),
  • du pouvoir de créer n’importe quel matériau ou n’importe quel objet, même des bouteilles de whisky (comme le fera peut-être un jour une imprimante 3D en synthétisant et en assemblant des atomes et des molécules),
  • d’une capacité d’adaptation (puisqu’il sait établir une connivence avec le cuisinier qui lui a demandé de dupliquer des bouteilles de whisky avant de le remercier chaleureusement, ce qui suggère qu’il le considère comme un ami donc que le test formalisé par Alan Turing quelques années plus tôt (1950) a été réussi : le cuisinier ne discerne plus de différence entre une intelligence artificielle et une intelligence humaine),
  • d’une force presque illimitée,
  • et d’une morale élevée, à laquelle rien ne peut le faire renoncer.

 

 

Entièrement bon mais trop limité dans son action par sa morale qui court-circuite (au sens propre) son efficacité potentielle, il est ainsi le pendant du professeur Morbius (qui outrepasse toute limite et accepte de libérer le mal en lui pour donner davantage d’efficacité à son intelligence). De ce point de vue, Planète interdite rappelle les dilemmes cornéliens : l’hésitation entre deux solutions à la fois nécessaires et inacceptables.

 

L’éthique du robot est en effet un élément fort du film. Robby respecte d’ailleurs les trois lois de la robotique formulées en 1942 par Isaac Asimov dans sa nouvelle « Cercle vicieux », intégrée plus tard au recueil Les Robots (I, Robot) paru en 1967. Ce qui n'était au départ qu'une fiction a eu un impact certain dans la réflexion éthique menée autour de la robotique et de l’intelligence artificielle (par exemple en ce qui concerne les règles à suivre en cas d’accident inévitable pour une voiture autonome ou pour l’utilisation des robots-tueurs, notamment les drones tueurs autonomes dans une guerre).

 

Extrait du recueil de nouvelles Les Robots d'Isaac Asimov

« Première Loi : un robot ne peut nuire à un être humain ni laisser sans assistance un être humain en danger.

Deuxième Loi : un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par les êtres humains, sauf quand ces ordres sont incompatibles avec la Première Loi.

Troisième Loi : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'est pas incompatible avec la Première ou la Deuxième Loi.

Manuel de robotique - 58e édition (2058 ap. J.-C.) »

 

Robby ayant été un personnage de plusieurs autres films, il a pris d’une certaine façon un statut d’acteur. Il apparaît par exemple dans un épisode de la série Columbo intitulé « Au-delà de la folie ». Il y est manipulé par un enfant surdoué dont le nom évoque un cinéma explorant les limites de la réalité puisque cet enfant s’appelle Steve Spelberg… C’est un double clin d’œil puisque cela évoque à la fois le réalisateur Steven Spielberg en général mais aussi en tant que réalisateur du tout premier épisode diffusé (mais le troisième dans l’ordre des tournages) de la série Columbo : « Le Livre témoin » (« Murder by the Book »).

 

Robby apparaissait d'ailleurs dès le générique de Planète interdite, à la suite du nom des acteurs humains.

 

 

Le robot Robby a marqué l’histoire récente d’une autre manière encore : c’est l’objet de cinéma le plus cher jamais vendu aux enchères : 5 375 000 $. Il en existe aussi plusieurs répliques.

 

S’il est devenu aussi emblématique, ce n’est pas seulement du fait de sa réussite esthétique, mais aussi parce qu’il préfigurait la question des limites qu’il faut fixer aux robots et à l’IA. En effet, si Robby constitue le pôle du bien et si ses capacités sont presque illimitées, il reste impuissant face au mal (incarné par le monstre invisible) qu’il ne peut détruire puisqu’un court-circuit inhibe son action. Ainsi, les deux créatures émanant du professeur Morbius personnifient le dilemme entre, d’une part, une entité artificielle dont les possibilités ne sont limitées par aucune limite technique ou morale et, d’autre part, une autre dont les interdits restreignent trop son action. Le combat entre les deux est logiquement un moment fort du film.

 

 

Wilcox : antithèse de Kubrick ?

 

2001 l’Odyssée de l’espace (2001: A Space Odyssey, 1968) et Planète interdite ont montré les deux dangers opposés, les deux dérives les plus extrêmes de la cybernétique : Kubrick a définitivement illustré le risque d’une intelligence artificielle (Hal 9000) outrepassant toute limite et prenant le pouvoir sur l’homme ; Wilcox a, au contraire, montré le problème d’un robot incapable de protéger (malgré son extrême puissance) par incapacité à outrepasser des interdits.

 

Fred McLeod Wilcox peut aussi être considéré comme l’antithèse de Stanley Kubrick dans la mesure où ses autres films ont vite été méprisés par les cinéphiles. Les seuls dont certains se souviennent encore, outre bien sûr Planète interdite, sont ceux consacrés à la chienne Lassie, ce qui fait dire à certains analystes goguenards qu’à défaut d’avoir su plaire aux cinéphiles, Wilcox a enchanté les cynophiles (d’après un bon mot de Philippe Rocher dans son article sur Planète interdite sur critikat.com).

 

Pourtant, qu’il s’agisse d’un hasard, d’une réminiscence ou d’un désir de faire mieux, Kubrick a repris un certain nombre de thèmes ou de motifs présents dans Planète interdite, ce qui est déjà un hommage. 2001, l'odyssée de l’espace a en effet exposé d'une façon magistrale la problématique des pouvoirs de l’intelligence artificielle (celle de Hal 9000) et la question de l’influence d’une civilisation antérieure sur celles des humains (à travers les monolithes noirs, certes plus sobres que la machine des Krells).

 

D’autres films de Kubrick ont peut-être aussi des points communs avec Planète interdite. Par exemple, Orange mécanique a montré les effets de la libération du mal enfoui en soi, ainsi que les risques d’une perturbation psychologique suite à une manipulation du cerveau effectuée à l’aide d’un casque. Entre parenthèses, ce film de Kubrick est très éloigné du roman inspirateur d'Anthony Burgess, qui avait déclaré : « l'orange de Kubrick n'est pas un fruit de mon arbre ».

 

Autre exemple emblématique de l'univers kubrickien : Shining a, lui aussi, sublimé le caractère effrayant d’une présence invisible (par exemple avec la scène du ballon roulant depuis le bout du couloir d’un hôtel censé être vide), un peu de la même façon que la présence invisible du monstre apparaît graduellement dans Planète interdite.

 

Les techniques de l’immersion : un accompagnement sonore intégralement électronique (mais ultraréaliste) et une ambiguïté (cauchemardesque) entre plusieurs ambiances

 

Les grands films associent souvent une esthétique soignée et une grande potentialité d’interprétations profondes (comme j'ai tenté de le montrer pour Shining) à des techniques virtuoses et innovantes.

 

La bande-son de Planète interdite (composée par Louis et Bebe Barron sous la supervision de John Cage) constitue à elle seule une innovation marquante puisqu'elle n'a utilisé que des sources électroniques. Tous les spectateurs n’y entendent d’ailleurs pas de la musique mais plutôt un complexe jeu de bruitages, tant la rupture est grande avec les films qui ont précédé. Les sons électroniques qui accompagnent l’action du film semblent générés par un ensemble de machines fonctionnant en parallèle, pour produire une symphonie de sons étranges et variés, qui paraissent malgré tout concrets : ils émergent, se superposent, s’amplifient et s’atténuent, subissent un glissando du médium à l'extrême grave ou à l’extrême aigu, jusqu’à sortir du spectre audible, en suggérant une approche ou un éloignement, une accélération ou une décélération. La musique théâtralise ainsi la vie d’un ensemble de machines à la façon d’une symphonie ou d’un opéra électronique tellement réaliste en tant qu’ambiance sonore d’un dispositif futuriste qu’on oublie d’emblée qu’il s’agit d’une musique. C'est comme si la machine qui se cache sous les entrailles de la planète interdite se faisait entendre en permanence.

 

Certes, le film Le Jour où la terre s'arrêta (The Day the Earth Stood Still, 1951) avait déjà utilisé un instrument électronique : le thérémine, inventée par le Russe Léon Thérémine (Lev Sergueïevitch Termen) – qui avait d’ailleurs donné des cours de cet instrument à un certain Vladimir Illitch Oulianov alias Lénine. Cependant, ce film de 1951 n’avait pas employé cet instrument seul mais accompagné d’instruments acoustiques classiques.

 

Pour Planète interdite, le couple de compositeurs Louis et Bebe Barron ont utilisé des techniques radicalement innovantes, présentées dans le premier grand ouvrage de Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique : Cybernétique : information et régulation dans le vivant et la machine (Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, 1948), paru seulement sept ans avant le tournage du film (printemps 1955).

 

Deux chefs-d’œuvre musicaux sur le thème du robot

  • The Robots (1978) par le groupe allemand Kraftwerk, monument de l’histoire des musiques électroniques avec un vocodeur transformant la voix humaine en son électronique (pour suggérer l’inverse : des robots qui imitent la voix humaine)
  • Rockit (1983) par le claviériste américain Herbie Hancock, qui raconte musicalement une sorte d’histoire en plusieurs étapes (la musique évoque un robot s’éveillant à la vie voire à la musique et à la danse, grâce, notamment, à un jeu complexe de scratches et de sampling (échantillonnage) d’enregistrements de pionniers du hip-hop – et à l’usage du vocodeur également)

La bande-son de Planète interdite, d’une très grande qualité (toujours remarquable aujourd’hui), se révèle être le catalyseur le plus puissant de notre immersion. Le caractère intégralement électronique des bruitages et de la musique du film est en effet déterminant pour nous plonger dans un monde marqué par « l’inquiétante étrangeté », comme aurait dit Sigmund Freud à propos de ce qui est à la fois inconnu et familier, un peu comme dans un rêve virant au cauchemar.

 

Autre vecteur important d’inquiétante étrangeté : l’ambivalence permanente entre horreur vertigineuse face à l’inconnu et humour (l'humour sera développé dans le bonus n° 3 à la fin). L’un des aspects les plus troublants du film est en effet l’hésitation constante entre sourire, peur et réflexion. L’arrivée du robot, au début, est marquée par un tourbillon inconnu qui se rapproche à une vitesse folle en zigzaguant dans le désert. Le spectateur hésite alors entre peur – celle des personnages qui dégainent leur arme – et amusement, comme s’il s’agissait d’un gag. Ce tourbillon de poussière, qui rend invisible le robot aux yeux du spectateur, peut même faire songer à un personnage de dessin animé comique : Taz, un diable de Tasmanie apparu en compagnie de Bugs Bunny un an plus tôt (Devil May Hare, 1954, Warner Bros. Looney Tunes et Merrie Melodies).

 

Ce personnage horrible mais burlesque (Taz) dont on parle énormément avant de le voir (parce qu’il est inconnu et effraie tous les animaux) ressemble surtout beaucoup au monstre de Planète interdite : une gueule ouverte démesurée par rapport à l’arrière du corps. Le monstre cauchemardesque – car à la fois effrayant et drôle d’un certain point de vue – du film vient d’ailleurs lui-même de l’univers du dessin animé puisque ce sont les studios Disney qui l’ont créé : il s’agit d’une animation incrustée, procédé rare et très complexe à mettre en œuvre à l’époque. Il avait en effet fallu un an pour réaliser la scène de trois minutes où Gene Kelly dansait avec la souris Jerry dans le film Escale à Hollywood (Anchors Aweigh, 1945).

 

 

C’est peut-être son caractère insaisissable et hybride (à la fois mythologique, animal, fantaisiste, cauchemardesque, etc.) qui rend ce monstre si dérangeant dans le film (mes captures d'écran par nature figées ne rendent pas du tout hommage à l'effet des images en mouvement). En tout cas, sa mise en scène progressive – pour ne pas dire son dévoilement par étape – est une réussite et participe elle aussi à l’immersion du spectateur dans le film. Si l’image finale peut sembler kitsch, il ne faut pas oublier que son apparition très tardives, par petites touches, plonge le spectateur dans le point de vue des personnages. Surtout, sa visualisation reste toujours indirecte : à travers ses traces puis à travers les décharges électriques provoquées par le champ de force et les tirs. Ainsi, le spectateur sait que ce qu’il voit n’est pas le monstre lui-même mais sa trace et l’effet de son interaction avec les dispositifs électroniques, rendus très présents par la saisissante bande-son.

 

Dernier clin d’œil (conscient ou inconscient) potentiel : rien n’interdit d’établir un lien entre ce monstre rugissant et le lion du générique de la Metro-Goldwin-Mayer (MGM), la société de production du film.

 

 

Planète interdite est d’ailleurs un des premiers grands films en cinémascope, l’image très large obtenue grâce à ce procédé optique renforçant encore l’immersion. Ces innovations techniques (robot sophistiqué devenu acteur, musique électronique, animations incrustées) sont un écho des technologies futuristes du film.

 

 

Pour conclure sur un film en prise avec des bouleversements politiques et scientifiques

 

Planète interdite affrontait – indirectement mais avec force – les peurs de son temps, liées aux événements les plus récents et aux technologies émergentes :

  • dix ans après la mort d’Adolf Hitler (1945), on craignait que l’humanité ne puisse créer un nouveau monstre tiré des parties les plus sombres de son inconscient ;
  • dix ans aussi après le bombardement nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki (1945), on pensait déjà au risque de destruction de la planète suite à une réaction en chaîne (c’est l’objet de la fin du film) ;
  • sept ans après l’invention de la cybernétique par Wiener (1948), on s’interrogeait sur les potentialités des ordinateurs qui venaient d’être inventés (ENIAC est le premier ordinateur complet au sens de Turing en 1946) ;
  • treize ans après la formulation des lois de la robotique par Asimov (1942), leur pertinence restait discutable : quelle limite devait-on fixer – ou non – aux possibilités d’action des futurs robots et des intelligences artificielles ?

 

Détail très surprenant pour le spectateur d’aujourd’hui, la voix off, au début du film, commence à résumer ainsi ce qui s’est passé entre l’époque des spectateurs et celle des personnages : « Au cours de la dernière décade du XXIe siècle, des hommes et des femmes, à bord de vaisseaux fusées, se posèrent sur la Lune. En 2200 après Jésus-Christ, les humains avaient atteint les autres planètes de notre système solaire. (…) C’est ainsi que l’humanité entreprit enfin la conquête et la colonisation de l’espace interplanétaire. » Or, bien sûr, des hommes se sont posés sur la Lune en 1969 – donc treize décennies avant les années 2090. En 1955, année du tournage du film, on n’imaginait pas encore le discours du 25 mai 1961 dans lequel John-Fitzgerald Kennedy allait annoncer le programme Apollo. Dans ce cas précis, la réalité a très largement anticipé la fiction.

 

Cependant, Planète interdite n’abordait pas seulement les problématiques de son temps mais également des préoccupations plus universelles et plus intemporelles. La véritable planète interdite qui se découvre dans le film est peut-être celle de l’inconscient. Cela pourrait être aussi celle des technologies futures, voire celle de civilisations encore inconnues.

 

 

Premier bonus : le vaisseau C-57D et autres soucoupes volantes

 

Le vaisseau « United Planets Cruiser C-57D » n’est pas nommé dans Planète interdite mais on peut y lire l’inscription « United Planets Cruiser C-57D ». On remarque néanmoins surtout qu'il a une forme de soucoupe volante.

 

 

On verra un modèle rigoureusement identique dans une célèbre série télévisée, La Quatrième Dimension (The Twilight Zone, 1959-1964), et plus précisément dans l’épisode 15 de la saison 2, « les envahisseurs » (« The Invaders », 1961), réalisé par Richard Matheson. En revanche, la soucoupe vue par David Vincent dans la non moins célèbre série Les Envahisseurs (The Invaders, 1967-1968) sera assez différente.

 

La notion de soucoupe volante a été popularisée sept ans seulement avant le tournage : quand des journalistes et certains auteurs ont repris (et tronqué voire déformé) les propos de Kenneth Arnold décrivant son observation d’OVNI près du Mont Rainier (un volcan culminant à 4392 mètres d'altitude, vers Seattle) alors qu’il pilotait son avion. Il avait précisé que les neuf engins volaient à environ 2000 km/h (quatre mois après cette observation, l’avion-fusée Belle XS-1, rebaptisé plus tard X-1, franchira certes le mur du son mais n'atteindra que 1299 km/h, si l’on peut dire) et semblaient rebondir dans l’air comme des soucoupes faisant des ricochets à la surface de l’eau ; il avait bien expliqué ces engins brillants avaient une forme arrondie à l’avant mais triangulaire à l’arrière, rappelant un peu les boomerangs dont les propriétés aérodynamiques très avancées avaient été mises au point par les aborigènes d’Australie. Cependant, seul le terme soucoupe a été retenu.

 

 

Deuxième bonus : l’origine du mot robot et les premiers robots marquants du cinéma

 

Il s’agit d’un mot d’origine tchèque : robot est en effet dérivé du nom tchèque robota qui désigne une besogne, une corvée. Auparavant, le mot rob signifiait « esclave » en ancien slave – tandis que c’est au contraire le mot slave qui est à l’origine du mot esclave, dans les langues d’origine latine (slavus a évolué en sclavus) comme en arabe (saqaliba).

 

L’écrivain tchèque Karel Čapek avait en effet mis en scène dans une pièce de théâtre de science-fiction (R.U.R., pièce écrite en 1921 et jouée à partir de 1921 à Prague) des robots androïdes créés pour effectuer les basses besognes mais qui finissent par se révolter. Il faut noter néanmoins qu’il ne s’agissait pas de robots tels qu’ils ont été représentés dans les décennies suivantes puisque ceux des premières mises en scène de la pièce avaient une apparence totalement humaine et s’apparentaient ainsi à la créature du docteur Frankenstein imaginée par la romancière Mary Shelley (dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, que j'ai déjà cité).

 

Le premier robot androïde métallique est apparu dans le film Metropolis (1927) de Fritz Lang, que j'ai déjà évoqué également. Il s’agissait d’un robot féminin, dont C-3PO semble être l’équivalent masculin dans les films de la saga La Guerre des étoiles (Star Wars, à partir de 1977).

 

Il y a eu ensuite L’homme de fer-blanc (Tin Man) dans Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz, 1939), le film musical de Victor Fleming. Il faut préciser qu’il s’agit cette fois d’un personnage fantaisiste (avec un entonnoir sur la tête) dans un univers associant merveilleux enfantin et comédie musicale.

 

L’un des premiers robots de science-fiction présenté comme réaliste (justifié par un événement possible dans notre monde et non dans un monde parallèle fantaisiste, marqué par le symbole ou le rêve par exemple) est apparu dans le film Le Jour où la Terre s’arrêta (The Day the Earth Stood Still, 1951), déjà évoqué : le robot Gort (qui a peut-être inspiré un des masques du groupe musical français Daft Punk) accompagne un extraterrestre (Klaatu) arrivant sur Terre. La différence entre Robby et Gort est que ce dernier est non seulement indestructible mais aussi dépourvu de limite – morale ou physique – dans son action. Il ne respecte donc pas les lois de la robotique établies dans la fiction d’Isaac Asimov neuf ans plus tôt.

 

Même s'il est métallique également, le robot Robby de Planète interdite peut sembler beaucoup plus humain (ou plus androïde) que le précédent dans la mesure où il a une origine terrestre, une morale implacable, s’exprime comme un majordome très prévenant (comme nous l’avons vu) et ressemble un peu à un scaphandre du XIXe siècle. Celui des frères Carmagnole, créé à Marseille vers 1878, avait déjà des articulations en forme de sphères.

 

 

Cependant, même s'il a ainsi beaucoup d'attributs humains, il reste clairement spécifique et de nature mécanique – non biologique donc – ce qui le rend moins inquiétant que des robots qu'on craindrait de ne pas pouvoir dissocier des humains.

 

 

Troisième bonus : Planète interdite et l’humour

 

L’humour est plus présent qu’il n’y paraît dans ce film pourtant particulièrement très angoissant. Par exemple avec le ton exagérément poli du robot, toujours prêt à satisfaire le moindre caprice de n’importe quel être humain, avec déférence et diligence. Le fait qu'il se comporte comme un maître d’hôtel ou un majordome (un butler) lui donne une dimension qui relève presque du comique de situation, dans la mesure où les personnages et les spectateurs ne s’attendent pas à une attitude aussi attentionnée et aussi désuète de la part d’un robot surpuissant et à la pointe de la technologie.

 

 

Un autre effet de décalage humoristique a lieu quand la fille du professeur Morbius observe les hommes qu'elle découvre, un peu comme s’il s’agissait d’animaux domestiques, en s’extasiant sur leur beauté et en faisant des commentaires un peu trop valorisants. La situation est équivoque dans la mesure où  les hommes qui arrivent interprètent ses compliments d’une toute autre façon. Dans cette scène, Altaïra rappelle presque Agnès dans L’École des femmes de Molière.

 

 

Le commandant Adams semble quant à lui parfaitement sérieux dans le film ; mais le spectateur d’aujourd’hui peut malgré tout sourire simplement en reconnaissant l'acteur Leslie Nielsen puisqu'il a joué beaucoup plus tard dans de célèbres films burlesques : ceux dont le titre en français commence par « Y a-t-il (…) », par exemple Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (parodiant des films catastrophe des années 1970 sur le thème de l’avion – comme Airport). 

 

Plus surprenant (et inédit jusqu’à preuve du contraire), je fais l’hypothèse que l'humoriste Coluche a été inspiré par une réplique de Planète interdite pour l’un de ses plus célèbres sketchs, Le Blouson noir, dans lequel il incarnait un alcoolique tentant de résumer l’histoire de la création du monde à sa façon : « Y parait que Dieu, c’est un mec, quand il est arrivé sur terre, y avait rien. Y avait rien : y avait pas un troquet, pas une mobylette, rien ! La zone ! » Or, l’effet comique généré par le contraste entre la grandeur théorique de la création divine du monde et la réalité triviale de l’absence de tout troquet apparaissait déjà au début de Planète interdite : lorsque l’équipage voit apparaître par le hublot la planète dont s’approche leur vaisseau et que le commandant s’émerveille, en observant « Le Seigneur fait des mondes d’une beauté surprenante ! », le cuisinier remarque quelques instants plus tard, avec beaucoup plus de prosaïsme : « Encore un de ces foutus nouveaux mondes sans pinard, sans femme et sans le moindre bistrot : sans rien ! »

 

Le cuisinier (incarné par l’acteur Earl Holliman) est d’ailleurs particulièrement important pour apporter une respiration plaisante entre des passages les plus intenses de Planète interdite : ce personnage est généralement le vecteur des contrepoints comiques aux événements dramatiques et aux passages philosophiques, par exemple quand il s’arrange avec le robot, capable de synthétiser n’importe quel matière, pour obtenir des bouteilles de Whisky, sans se doute qu’il n’en aura pas quelques une mais des centaines.

 

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