Rodrigo Borgia alias Alexandre VI : le pape qui osait tout

Roderic Llançol i de Borja est né en Espagne (entre 1430 et 1432). Il a été renommé Rodrigo Borgia à son arrivée en Italie (où il mourra en 1503). À vingt-cinq ans, il était déjà archevêque puis cardinal, nommé par son oncle, le pape Calixte III (c’est un bel exemple de népotisme au sens premier du terme : le fait de favoriser son neveu puis, par extension, ses proches en général). À vingt-six ans, il était vice-chancelier de l’Église romaine. Néanmoins, il a quand même dû attendre l’année 1492 pour être élu pape (grâce à l’achat des voix de quelques cardinaux – puisque la simonie, autrement dit l’achat de bien de nature théoriquement spirituelle, était courante à cette époque) et choisir le nom d’Alexandre VI. Certaines de ses actions ont marqué l’Amérique et l’Afrique ; d’autres ont stupéfié l’Europe.

 

Par C. R.

Publié le 24/08/2025

Portrait du pape Alexandre VI  peint par Cristofano dell'Altissimo

(XVIe siècle) et exposé dans le corridor secret de Vasari à Florence.

Photographie : domaine public, via Wikimedia Commons.

 

 

Quand le pape partageait le monde comme un gâteau en 1493

 

Le monde appartient aux Européens et le seul problème ne peut être que le partage de ce monde entre eux : cette idée (qui semble bien sûr absurde aujourd'hui) a pris beaucoup d’importance sous le pontificat d’Alexandre VI. Dès que la nouvelle de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique (avec la lettre des souverains catholiques espagnols Ferdinand et Isabelle demandant au navigateur « de découvrir et de soumettre des îles et un continent ») est parvenue au Vatican, le pape en question s’est dépêché (dès 1493) de rédiger une bulle pour partager les Amériques et l’Afrique entre les nations catholiques conquérantes : la bulle « Inter Cætera ». Ce partage a été légèrement modifié l’année suivante par le traité de Tordesillas (1494).

 

C’est donc cette décision du pape Alexandre VI qui explique pourquoi on parle aujourd’hui encore espagnol dans une grande partie de l’Amérique latine mais portugais au Brésil comme dans certains pays africains (Angola, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Cap-Vert...).

 

 

Quand le pape avait un fils naturel pris comme modèle par Nicolas Machiavel

 

Avant même de se faire élire pape, l’archevêque et cardinal Rodrigo Borgia ne se souciait guère de chasteté (et cela ne changera pas après son élection comme pape, bien au contraire, comme nous le verrons). Il a eu au moins six enfants (de différentes femmes), dont le plus célèbre est César Borgia (1475-1507), souvent cité comme modèle par Nicolas Machiavel dans le chapitre VII de son traité politique Le Prince* (publié d’abord en latin, à Florence, en 1532).

 

En effet, l’ascension sociale de César Borgia a été pour le moins fulgurante, puisqu’il a été nommé protonotaire de la papauté et chanoine de la cathédrale de Valence à sept ans (ce n’est pas une faute de frappe), puis évêque à quinze ans. Il a quand même dû attendre l’âge de dix-sept ans (et surtout l’élection de son père comme pape) pour être nommé (par son père Alexandre VI) archevêque et cardinal. C’est ce qu’on appelle un début de carrière rapide.

 

 

Quand le pape faisait organiser une orgie au palais apostolique pour fêter le mariage de sa fille

 

Les scandales provoqués par la conduite du pape Alexandre VI sont innombrables. Le moine dominicain Jérôme Savonarole s’en indignait d'ailleurs régulièrement, à tel point qu’il a fallu le faire torturer, le pendre et le brûler (en 1498) pour le faire taire efficacement. Le pape s’est senti beaucoup plus libre une fois que cette voix critique avait disparu.

 

Alexandre VI a donc pu aller plus loin encore dans la débauche et dans le mépris le plus absolu des règles religieuses qu’il était censé incarner et faire respecter. L’apogée a eu lieu le 31 octobre 1501 : pour fêter dignement le troisième mariage de Lucrèce Borgia (l’une de ses filles), il a eu l’idée d’organiser une orgie assez originale : une sorte de compétition sexuelle géante arbitrée par deux de ses fils, dont César Borgia. Les témoignages des ambassadeurs présents à Rome ont bien sûr fait ensuite le tour de l’Europe.

 

 

Quand le pape créait un rite religieux (dangereux) maintenu pendant 475 ans

 

Un peu plus d'un an avant ce mariage scabreux et scandaleux de sa fille, Alexandre VI avait organisé une autre cérémonie – de nature beaucoup plus religieuse – dont le nouveau rite a tellement plus qu’il a perduré tel quel jusqu’au jubilé de 1975.

 

Il faut savoir que depuis l’an 1300, les papes organisaient tous les vingt-cinq ans des festivités permettant d’obtenir une indulgence (donc une rémission des péchés). C’est le pape Boniface VIII qui avait été le premier à promettre cette indulgence à ceux qui effectueraient un pèlerinage à Rome à ce moment précis. En réalité, l’idée ne venait pas directement de lui mais d’une rumeur populaire prétendant qu’en l’an 1200 les pèlerins venus à Rome auraient été lavés de leurs péchés après avoir visité les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul. Au lieu de démentir cette rumeur (pourtant dépourvue de tout fondement), Boniface VIII avait su l’exploiter de façon très efficace, puisque 200 000 pèlerins étaient alors venus à Rome pour bénéficier de l’indulgence promise solennellement par le pape dans une bulle.

 

Boniface VIII : l’absolutisme papal

Le fait de donner raison à la volonté populaire (fût-ce pour une rumeur – on parlerait aujourd’hui de fake news) était certainement lié à un objectif politique puisque, face à la volonté de certains souverains de s’affranchir de sa tutelle, Boniface VIII voulait renforcer son pouvoir théocratique de façon absolue. Il avait bien précisé dans une bulle : « Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Église, le spirituel et le matériel », en ajoutant : « toute créature humaine, par nécessité de salut, doit être soumise au pontife romain ». Ce positionnement a créé des tensions extrêmement graves entre lui et le roi de France Philippe IV le Bel (petit-fils de Louis IX alias Saint Louis) qui, suite à sa menace d’excommunication, a fait séquestrer le pape pendant quelques jours (six siècles plus tard, Napoléon Bonaparte fera de même avec le pape Pie VII, mais pendant plusieurs mois). C’est d'ailleurs ce qui a été indirectement à l’origine de la papauté d’Avignon.

 

Quand Alexandre VI a organisé à partir de Noël 1499 un nouveau jubilé pour célébrer l’année sainte 1500 (en attirant également 200 000 pèlerins venus à Rome pour obtenir une indulgence), il ne s’est pas contenté de prolonger les habitudes de ses prédécesseurs : il a institué un nouveau rite. Ce rite consistait à faire entrer les pèlerins dans les basiliques majeures de Rome par une porte précise (un passage muré que le pape devait libérer en cassant des briques avec un marteau) pour qu’ils puissent bénéficier de l’indulgence promise.

 

Aujourd’hui encore, chacune des quatre basiliques majeures de Rome (Saint-Pierre, Saint-Jean-de-Latran, Saint-Paul-hors-les-Murs et Sainte-Marie-Majeure) possède sa porte sainte à cet effet. Pendant 475 ans, le mur de briques a été frappé tous les 25 ans par le pape lui-même avec un marteau jusqu’à ce qu’il s’écroule (puis reconstruit à la fin du jubilé). Cependant, en décembre 1974, la chute des briques a failli blesser le pape Paul VI et c’est pourquoi le rite d’ouverture de la porte a été modifié, par sécurité.

 

 

Quand le pape était empoisonné (peut-être par son fils mais pas intentionnellement)

 

Alexandre VI est mort en 1503, trois jours après un banquet où du poison avait dû circuler. Cependant, il reste difficile de savoir qui était le coupable. En tout cas, on sait que la famille Borgia usait – et abusait – de poisons très divers (à base minérale – plomb, mercure, phosphore et arsenic – et végétale – aconit, if, jusquiame, phosphore, pavot et ciguë). César Borgia possédait en effet plusieurs bagues à poison. Une des hypothèses est que lui et son père aient été les victimes de leur propre tentative d'assassinat : projetant d’empoisonner un cardinal gênant, ils auraient empoisonné du vin mais en auraient bu par mégarde un peu plus tard, avant le repas, le sommelier leur versant par erreur le vin prévu pour le cardinal. César, plus jeune, a survécu au poison mais pas son père.

 

 

Juste une petite question pour conclure

 

Rodrigo Borgia a eu un impact immense sur le monde en tant que pape. Son fils, César Borgia, est devenu le modèle du prince redoutable d’efficacité, pour Machiavel et pour d'autres.

 

Que seraient-ils devenus ou de quoi auraient-ils été capables sans commettre leurs crimes et sans avoir été nommés, encore enfants, à des postes clés, l’un par son oncle pape (Calixte III) et l’autre par son père pape (Alexandre VI) ?

 

  

 

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