La numération babylonienne : vision mentale circulaire et notation tabulaire des nombres (Sources de l'informatique 1/3)

Il y a plus de quatre-mille ans, un peuple de Mésopotamie, les Babyloniens (héritant des révolutions intellectuelles des Sumériens qui les avaient précédés dans cette région) ont inventé une incroyable façon d’écrire des nombres : le premier système de numération sexagésimale de position, qui consiste à traduire une représentation mentale circulaire des nombres par une notation tabulaire en base 60. Ce système d’écriture semble préfigurer le codage informatique... Si vous prenez le temps de lire lentement cet article et si vous faites l’effort d’apprendre à noter les nombres comme on le faisait en Mésopotamie il y a quatre-mille ans (la méthode de la numération babylonienne vous sera expliquée pas à pas au gré des explications), vous devriez ressentir une sorte de vertige face à l’intelligence hybride (les Babyloniens ont croisé les représentations culturelles sumériennes et sémitiques) de ce peuple de la plus haute antiquité.

 

Par C. R.

Publié le 12/06/2022

Dernière modification le 18/09/2023

La célèbre tablette Plimpton 322 (Columbia University, New-York, n° de catalogue : 322 – image tombée dans le domaine public) : peut-être une table trigonométrique, rédigée par les Babyloniens 1800 ans avant J.-C., soit plus de 3000 ans avant que la trigonométrie soit importée en Europe !

C’est sans doute l’une des innovations les plus impressionnantes de l’histoire de l’humanité : imaginez qu’on puisse écrire le nombre 12.960.000 avec... un seul signe ; et qu’on puisse également écrire 1/30 avec un seul signe... et d’ailleurs le même ! Présenté ainsi, on dirait une énigme mathématique défiant des personnes dont le QI évoque des vitesses réservées aux autoroutes allemandes...

 

Pourtant, cette vertigineuse économie de moyens n’est pas le fruit du cerveau d’un informaticien du XXe siècle... Ce sont les Sumériens puis les Babyloniens qui ont progressivement mis au point un tel système, il y a plus quatre-mille ans, pour administrer la cité et pour faire du commerce donc de la comptabilité : il s’agissait d’inscrire des symboles sur un pot de grès pour préciser la nature, le nombre d’articles ou la quantité de produit qu’il contenait afin de ne pas avoir besoin de l’ouvrir et de pouvoir faire des listes et des calculs. L’enjeu était de rendre plus efficace, plus rapides et mieux organisés les échanges commerciaux. La capacité de se représenter les biens possédés ou échangés, donc d’évaluer et de prévoir permettait déjà d’avoir une bien meilleure maîtrise de son destin.

 

Mais pour essayer de comprendre (si c’est possible) comment de petits commerçants orientaux maîtrisaient un tel niveau d’abstraction mathématique dans cette époque très lointaine, il faut au moins avoir quelques repères minimaux sur les civilisations mésopotamiennes et sur leurs apports décisifs pour le développement de notre civilisation.

 

 

1. La place et l’importance des peuples de la Mésopotamie dans l’histoire de l’humanité

 

Étymologiquement (voir la petite fiche méthodologique consacrée aux préfixes, radicaux et suffixes grecs et latins), la Mésopotamie est cette région correspondant à l’Irak actuel située « entre les fleuves » : le Tigre et l’Euphrate. C’est sans doute grâce à la protection naturelle apportée par cette situation géographique que les Sumériens (les habitants de la région de Sumer, au sud de la Mésopotamie) ont pu développer une certaine prospérité, en s’intéressant moins à la guerre donc davantage aux technologies de production agricole et artisanales puis au commerce et à l’administration des premières villes.

 

Dans cette région d'abord habitée par l'ethnie sumérienne, Uruk (du XXXVe au XXXe siècle avant J.-C) a ainsi été la toute première ville, où s'est développé le premier État de l'histoire de l'humanité (comme en atteste l'architecture monumentale qui suppose à la fois un ordre social et une organisation administrative et économique efficace). Il y a eu plus tard (du XXIVe au XXe siècle avant J.-C.) l'empire d'Akkad.

 

Dans cette même région, une autre ethnie (sémite cette fois-ci) a fondé ensuite la célèbre Babylone, que la Bible évoque en tant que peuple très ancien : les différents livres qui composent l'Ancien testament ont en effet été rédigés (par un autre peuple sémite : les Hébreux) du VIIIe au IIe siècle avant J.-C., soit près de mille ans après la première dynastie babylonienne (du XVIIe au XVIe siècle avant J.-C.).

 

Il faut retenir (cela aura une importance pour comprendre l’intégration d’un système décimal secondaire dans le système globalement sexagésimal des Babyloniens) que si les Babyloniens ont hérité des apports culturels inouïs des Sumériens, ils n’étaient pas issus de la même ethnie ni de la même branche linguistique qu’eux.

 

Les Sumériens (donc les fondateurs d'Uruk et d'Akkad notamment) parlaient en effet une langue qui n’était ni sémitique (comme l’arabe, l’hébreu, l’araméen, l’akkadien...), ni indo-européenne (comme le sanskrit, le hindi, les langues iraniennes, le grec, le latin, l’italien, le français, l’allemand, l’anglais...) : leur langue (morte) constituait un isolat linguistique : une langue apparentée à aucune famille de langue connue (sauf dans les recherches inspirées par des objectifs nationalistes qui, comme toutes les recherches guidées par une idéologie, sont faussées dans la mesure où le résultat attendu est déjà anticipé avant même le commencement des travaux de recherche). Les Babyloniens parlaient quant à eux une langue sémitique : un dialecte de l’akkadien (une langue qui a disparu, notamment parce qu’elle a été remplacée par une autre langue sémitique qui est devenue ensuite la langue véhiculaire des peuples de la région : l’araméen, qui sera parlé notamment par Jésus de Nazareth (voir l'article « Quelles langues parlaient-ils » sur ce site) et qui survit encore aujourd'hui dans quelques villages syriens.

 

Les Babyloniens constituaient donc un peuple sémitique qui a repris et développé les apports culturels d’un précédent peuple mésopotamien qui n’était pas sémitique : les Sumériens. Ce croisement culturel est sans doute l’un des premiers facteurs d’innovation intellectuelle car, comme nous le verrons, c’est l’association entre le décimal et le sexagésimal, entre le circulaire et le tabulaire qui a produit une innovation révolutionnaire (tout comme associer le cercle au triangle peut donner lieu au développement de la trigonométrie, comme nous le verrons également brièvement). Sur le plan métaphysique, l’exemple le plus éloquent de la reprise de pans entiers de la culture sumérienne par les peuples sémitiques (parlant akkadien, hébreu, araméen ou arabe) se trouve dans le récit de l’histoire du monde tel qu’il est présenté dans les religions monothéistes sémitiques (judaïsme, christianisme et islam). Ce récit est directement emprunté à celui des Sumériens et mérite une parenthèse que vous pouvez lire si vous acceptez l’idée (facile à vérifier si l’on préfère les faits aux croyances) que l’histoire du monde présentée dans la Bible puis évoquée dans le Coran renvoie à un autre texte beaucoup plus ancien puisqu’il a presque cinq-mille ans.

 

L’Épopée de Gilgamesh : des récits bibliques...

deux-mille ans avant la Bible

 

Le grand texte fondateur des Sumériens (et le plus ancien texte littéraire de l'histoire de l'humanité) est L'Épopée de Gilgamesh (en 2 800 avant J.-C. environ). On y raconte que le premier homme a été créé par des dieux avec de l’argile (tout comme d’ailleurs les mots et les nombres) – et avec le sang d’un autre dieu sacrifié pour l’occasion. La Bible (la Torah pour les juifs, l’Ancien Testament pour les chrétiens), bien plus tard, puis le Coran, encore plus tard, évoqueront aussi cette création de l’homme à partir d’argile. L’Épopée de Gilgamesh raconte également une colère divine dévastatrice qui a eu pour conséquence de noyer l’espèce humaine, à l’exception d’un homme, chargé de construire un bateau pour y faire monter sa famille et des échantillons de toutes les espèces animales... Je ne crois pas qu’il soit utile de multiplier les exemples pour montrer que les peuples mésopotamiens sont à la base de beaucoup de conceptions religieuses ou mythologiques (selon les points de vue adoptés pour les étudier) qui ont suivi, mais aussi des conceptions scientifiques et pratiques qui sont toujours celles qui prévalent aujourd’hui dans la plus grande partie du monde.

 

Les Sumériens puis les Babyloniens ont développé beaucoup de connaissances et de techniques qui ont rendu possible le monde dans lequel nous vivons (il y a peu de civilisations qui ne sont pas redevables des innovations suivantes) :

  • l’écriture des mots (il y a 5300 ans) ;
  • l’écriture des nombres ;
  • les premières opérations arithmétiques (les Sumériens pratiquaient l’addition, la soustraction, la multiplication et la division ; les Babyloniens ont utilisé ensuite des tables de carrés, de cubes, d’inverses, de logarithmes...), le calcul des volumes (d’un cube, d’un cylindre, d’une pyramide...), la résolution d’équations algébriques...
  • la roue, le cercle et vraisemblablement la trigonométrie (avec trois-mille ans d’avance sur l’Europe, pour donner une idée de l’avance intellectuelle de ces peuples antiques), d’après certaines interprétations de la célèbre tablette Plimpton 322 (voir l'illustration en tête de cet article) notamment ;
  • la mesure du temps en 12 et en 60 (voir notre horloge divisée en 12 heures de 60 minutes, notre année divisée en douze mois, etc. : tout cela vient d’eux).

Les rouages de nos horloges et de nos moteurs, les cartes perforées du début de l’informatique, nos tableurs et nos tabulations, les systèmes de triangulation de nos GPS ont ainsi été rendus possibles par cette révolution intellectuelle, qui a permis de lier :

  • l’idée de cercle (avec une vision cyclique du temps mais aussi de la numération et des systèmes de mesure),
  • les notions de triangle et d’angles (ce sont d’ailleurs les Babyloniens qui ont inventé la mesure des angles sur 360°, voire donc la trigonométrie consistant à faire interagir les notions de cercle, d’angles et de triangles),
  • les mesures linéaires et les dénombrements.

Les Babyloniens ont surtout mis au point un incroyable système de notation des nombres, de numération et de calcul, à des fins administratives et commerciales. C’est surtout cela que je vais tenter de vous expliquer.

 

La numération (à ne pas confondre avec la numérotation qui est l'attribution d'un numéro à un ensemble d'objets ou de personnes) est tout simplement un système concret d'écriture des nombres (avec un certain nombre de signes et des règles).

 

 

2. Le système sexagésimal des Sumériens et l’intégration du système décimal par les Babyloniens

 

Les Babyloniens, héritiers des Sumériens, ont donc repris leur système sexagésimal (en base 60) d’écriture des nombres (d’où sont issues nos conceptions de l’heure, qui est toujours divisée en 60 minutes de 60 secondes depuis ce temps) mais en intégrant aussi la base 10, caractéristique des peuples sémitiques. Le 60 et le 10 correspondent en effet aux deux seuls signes utilisés par les Babyloniens dans le système que je vais détailler plus bas (la lenteur du raisonnement est volontaire pour vous permettre d’assimiler peu à peu l’idée théorique générale avant de passer à la pratique).

 

La numération sexagésimale de position permet d’écrire tous les nombres entiers mais aussi des fractions (certains nombres rationnels donc) grâce à un système ingénieux de représentation des puissances (positives et négatives) de 60. Par exemple, ils écrivaient 3601 en considérant que c’est 1 + 602 (autrement dit une soixantaine de soixantaines plus un) ; et 0,75 (ou 3/4) en considérant que c’est 45 / 60, autrement dit 45 x 60-1 (quarante-cinq soixantièmes). Regardez une horloge et vous verrez en effet que pour obtenir trois quarts d’heure il faut que la grande aiguille soit sur 45 pour indiquer quarante-cinq soixantièmes d’une heure. D’ailleurs on utilise aujourd’hui indifféremment le système sexagésimal quand on dit « 45 minutes » et le système décimal quand on dit « trois quarts d’heure ». Nous avons donc bien conservé au moins partiellement cette vision sexagésimale circulaire et/ou cyclique de l’arithmétique dans certains domaines.

 

 

3. Pourquoi la base 60 est-elle très pratique (malgré les apparences) ?

 

La base 60 est particulièrement pratique pour les calculs commerciaux et scientifiques, notamment pour les fractions, car le nombre 60 n’a pas moins de 11 diviseurs dont 10 utiles (en plus du 1 qui n’est pas très utile pour calculer des fractions...) : 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20 et 30. Vous pouvez comparer avec le nombre 10 (beaucoup moins pratique car il n’a que deux diviseurs utiles : 2 et 5) et même avec le 100 (qui se limite encore à 7 diviseurs utiles : 2, 4, 5, 10, 20, 25, 50). Rappelons encore une fois que le 60, plus petit, bénéficie de 10 diviseurs utiles, ce qui a sans doute été à l’origine de son choix il y a 5300 ans et de son maintien, depuis cette époque très ancienne, dans la représentation et dans les calculs d’heures et d’angles.

 

Quant à la notation elle-même, il y a eu plusieurs systèmes d’écriture des nombres selon les époques et les régions de Mésopotamie. Je vais me contenter ici de faire une synthèse simplifiée au maximum du plus connu et du plus étonnant d’entre eux : la numération sexagésimale de position, qui combine la numération sexagésimale (représentation mentale circulaire) avec un système positionnel (notation matérielle tabulaire avec des colonnes virtuelles correspondant à chaque puissance de 60, comme ce sera expliqué en détail plus bas).

 

 

4. Pourquoi fallait-il un système hybride associant la base 10 à la base 60 ?

 

S’il n’y avait eu que la base 60, sans l’introduction de la base 10 supplémentaire et du signe correspondant au 10, le système de notation aurait été particulièrement lourd. Par exemple, pour écrire 59, il aurait fallu utiliser cinquante-neuf fois le signe de l’unité.

 

Si au contraire, il n’y a que la base 10, c’est le système que nous connaissons bien, avec un autre inconvénient : il faut dix signes différents pour écrire les nombres, ce qui aurait ralenti ou compliqué le geste technique d’une écriture réalisée en appliquant simplement un morceau de roseau taillé sur de l’argile molle sous différents angles (juste en imprimant une trace mais sans tracer).

 

Combiner les deux, en associant une représentation mentale circulaire et une notation tabulaire, c’est échapper à la fois à ces deux inconvénients : ne multiplier ni les types de signes ni le nombre de leurs occurrences. C’est aussi pousser très loin la réflexion théorique pour faciliter l’application pratique.

 

Il faut rappeler que leur écriture cunéiforme pouvait noter tous les nombres (entiers mais pas seulement) et tous les mots en faisant seulement trois signes à l’aide d’un calame (un morceau de roseau taillé de façon anguleuse à l’extrémité : en triangle par exemple) dans la version la plus épurée :

  • un clou (en appliquant le coin de la pointe puis en basculant le côté du calame sur l’argile) horizontal : 

  • un clou vertical : 

  • un chevron (un triangle formé uniquement avec le coin de la pointe du calame) :

 

C'est tout : vous connaissez la totalité des signes utilisés par les Babyloniens pour écrire aussi bien un récit épique plus long que la Bible que de grands nombres et des fractions.

 

Encore plus sidérant : pour les nombres, seuls les deux derniers signes étaient utilisés... Strictement rien d'autre. C'est déjà impressionnant quand on est en binaire mais les Babyloniens avaient réussi à se contenter de deux signes pour un système intégrant à la fois la base 10 et la base 60, ce qui est sans doute encore plus impressionnant, comme nous le verrons plus en détail.

 

Je rappelle qu'en plus ils se passaient du second signe pour écrire 12.960.000 ou 1/30, par exemple.

 

 

5. Présentation des deux seuls signes de la numération sexagésimale de position

 

Dans ce système précis, ils n’employaient donc que deux signes en tout et pour tout :

  • le clou pour les unités (1 ou 60, autrement dit pour toutes les puissances de 60 : 1 = 600 ; 60 = 601 ; 3600 = 602... mais aussi pour les puissances négatives de 60 : 1/60 = 60-1 ; 1/3600 = 60-2...) :

  • le chevron  pour les dizaines intermédiaires :

 

Encore une fois, imaginons l’ingéniosité qu’il a fallu pour créer un système arithmétique dans lequel on peut noter 12.960.000 ou 1/30 avec un seul et unique signe (avec notre système actuel, je viens d’utiliser sept signes différents, soit 3,5 fois plus que les Babyloniens et douze signes en tout soit 6 fois plus que nos lointains ancêtres). Nous verrons bientôt comment ils procédaient.

 

Ces deux uniques signes (réalisés avec la pointe d’un roseau sur une tablette d’argile molle) permettaient aussi de faire des calculs poussés (avec l’équivalent de nos fractions et de nos puissances).

 

Origines possibles du symbole du 10 des Mésopotamiens :  


 

Hypothèse de Howard Crohurst

Une origine possible du symbole du 10 des Mésopotamiens est expliquée par Howard Crowhurst, un spécialiste de la géométrie des mégalithes et de la pensée par formes géométriques dans cette vidéo à partir de 10’15’’.

 

Ma propre hypothèse

Je propose une autre origine possible de ce symbole du 10, sans prétention, à la fois à titre d’hypothèse (proposée à la réflexion et à la critique de chacun) et à titre pédagogique, pour faciliter votre compréhension de cette arithmétique circulaire des Babyloniens  (à laquelle nous sommes toujours des millénaires plus tard en lisant les minutes ou les secondes sur une horloge analogique).

 

Commençons par la base, le cercle en base 60 :

 

À partir de là, nous pouvons imaginer de représenter ainsi le 10 puis le 1 mais aussi le 60 puisque le zéro n'existait pas encore : même les Grecs et le les Latins ne l'avaient pas pris en compte et ce sera une invention des Arabes plus tard, à moins que ce soit celle des Berbères (il y aura bientôt sur ce site un article sur les symboles berbères des chiffres, incroyables pour d’autres raisons).

6. Utilisation des signes (syntaxe arithmétique) dans la numération sexagésimale de position

 

Ces signes étaient utilisés de façon additive de 1 à 59 (comme certains chiffres romains) mais avec des empilements et des chevauchements pour gagner de la place :

1 s'écrit :

2 s'écrit : 

5 s'écrit :

  (= trois clous décalés derrière deux clous : seules les têtes dépassent)

10 s'écrit :

20 s'écrit :

50 s'écrit :

 

Il y avait également un principe de position, sur des colonnes virtuelles :

  • décalage d’un cran à droite pour les puissances positives de 60 ;
  • décalage d'un cran à gauche pour les puissances négatives de 60.

01 = 60s'écrit :

60 = 60s'écrit :

3600 = 602 s'écrit :

1/60 = 1/601 = 60-1 s'écrit :

1/3600 = 1/602 = 60-2 s'écrit :

 

Chaque colonne correspond ainsi à une puissance de 60 (tout comme dans un nombre en chiffre arabes, le rang correspond à une puissance de 10 : la notation « 362 » signifie 3 x 102 + 6 x 101 + 2 x 100).

 

Donc pour noter 79 (= 60 + 19 pour les Babyloniens) on inscrira le 19 au centre (colonne pour les unités de 1 à 59) et le 60 dans la colonne un peu plus à droite.

 

Pour mieux comprendre, j’ai matérialisé les colonnes (qui n’étaient que virtuelles sur les tablettes) et donné une série d’exemples de notations de nombres dans le système de la numération babylonienne.

 

Vous pouvez les comparer les unes aux autres puis essayer de reproduire seuls la notation de plusieurs nombres.

 

Si vous réussissez, à défaut de vous voir attribuer un diplôme d’études babyloniennes du premier niveau (je ne suis pas habilité à délivrer ce genre de diplômes...), vous aurez au moins la satisfaction d’avoir réussi et de pouvoir vous faire une toute petite idée de la façon dont comptait un commerçant mésopotamien il y a une quarantaine de siècles.

 

 

Il faut remarquer que, beaucoup plus tard dans l’histoire, les Indiens (au VIIe siècle avant J.-C.) puis les Arabes remplaceront en partie ce système tabulaire (fondé sur les décalages des puissances de 60) par l’utilisation du 0 (en base 10 et non plus en base 60). Il s’agira alors d’ajouter un 0 (à droite) pour chaque puissance de 10 (au lieu de décaler le signe à droite) :

  • 1 = 100
  • 10 = 101
  • 100 = 102
  • 1000 = 103
  • etc.

 

Leur système sera encore complété un peu plus tard par le savant allemand Bartholomäus Pitiscus, avec l’invention de la virgule qui remplacera cette fois les décalages à gauche :

  • 0,1 = 10-1
  • 0,01 = 10-2
  • 0,001 = 10-3
  • etc.

       

* Les chiffres attribués aux Arabes viennent en réalité de l'Inde. Ils se sont répandus plus tard quand le grand savant persan (de langue arabe) Al-Khwârizmî (dont le nom est à l'origine  de la notion et du mot algorithme dans lequel il n'y a pas de y : pas de « i grec ») les a popularisés dans le monde arabo-turco-persan (au IXe siècle) puis quand le pape mathématicien Sylvestre II (alias Gerbert d'Aurillac) a tenté (vers l'an mille) de convaincre les savants de la chrétienté de l'intérêt de ce nouveau système étranger d'écriture des chiffres et de prise en compte du zéro.

Il faut remarquer que cette création d'un savoir révolutionnaire puis sa diffusion étaient encore possibles à cette époque d'intenses échanges interculturels, avant que la chrétienté puis le monde islamique ne tombe dans un dogmatisme étouffant les intelligences : à partir du quatrième concile de Latran en 1215 côté chrétien et quelques décennies plus tard côté musulman (quand toutes les sciences ont été considérées comme des sous-disciplines de la théologie, comme en Europe jusqu'à la Renaissance), selon un ouvrage de l'historien Mohammed Arkoun qui fait autorité : La Pensée arabe. 

 

 

7. Tablettes d’argile, tabulations, tableaux, tables, tablatures, tableurs, tabulatrices et tablettes graphiques

 

C’est un principe positionnel qui explique l’aspect tabulaire (évoquant un tableau à double entrée) des tables de multiplication, de division, de fractions et de racines qui apparaissaient sur les tablettes d’argile des Mésopotamiens du quatrième millénaire avant notre ère – et aujourd’hui sur des tablettes d'un autre genre.

 

Nous utilisons toujours ce principe positionnel avec les tabulations et les tableaux informatiques (utilisés par exemple pour présenter certaines parties de cet article). N’oublions pas non plus les tableurs (comme Excel), qui descendent des tabulatrices du tout début du XXe siècle.

 

Cette disposition tabulaire – en plus de la numération sexagésimale – est fondamentale dans l’histoire humaine, avec les développements de l’informatique à partir des orgues de Barbarie puis des métiers à tisser lyonnais.

 

Ce sont en effet presque les mêmes cartes perforées (en forme de partitions musicales – dont l'origine se trouve aussi dans des inscriptions cunéiformes sur des tablettes d'argiles du Moyen-Orient) qui ont permis d’automatiser non seulement le jeu des orgues de Barbarie (au XVIIe siècle) puis le tissage de motifs complexes par des métiers Jacquard (dès 1801) mais aussi les premiers calculateurs électromécaniques : les machines à statistiques à cartes perforées (1887) de Herman Hollerith, à l'origine de la compagnie IBM...

 

 

À suivre...

 

Je vous explique cette très surprenante (pré)histoire de l'automatisation dans le deuxième volet d'un triptyque sur les sources lointaines de l'informatique (qui en compte trois).

 

 

 

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