Les films de Stanley Kubrick sont tous des objets artistiques exceptionnels, par le travail effectué sur les images et sur la bande-son mais aussi par la richesse de leurs interprétations potentielles. Des décennies après leur sortie, ils alimentent même certaines théories du complot... L’un de ces films a une place à part : Shining.
Par C. R.
Publié le 28/08/2021
Dernière modification le 02/10/2024
Shelley Duvall, Danny Lloyd et Jack Nicholson interprétant respectivement Wendy, Danny et Jack Terrance dans Shining.
Le film Shining (The Shining pour la version originale anglaise) a été projeté en 1980, trois ans après le roman de Stephen King dont il s’est inspiré, un peu comme un jazzman utilisant une chanson déjà existante pour en faire une version originale et sophistiquée avec des accords nouveaux. Kubrick a d’ailleurs toujours profondément transformé les romans et les nouvelles dont il partait : par exemple le film Lolita a repris en partie l'œuvre de Vladimir Nabokov et le film Orange mécanique s'est inspiré librement du texte d’Anthony Burgess, qui a jugé que « l'orange de Kubrick » était totalement différente de la sienne mais très intéressante d'une autre façon. Il a beaucoup aimé le film.
Stephen King, au contraire, n’a pas du tout aimé le film que Kubrick a réalisé en s’inspirant de son roman, sans doute parce qu’il ne s’y retrouvait pas du tout, par exemple avec une fin totalement différente. C’est pourquoi King a souhaité superviser le tournage d’un autre film (un téléfilm) en 1997, dans l’hôtel Stanley (Colorado) qui lui avait inspiré le roman et non pas dans le Timberline Lodge (Oregon) qui a servi de décor à Kubrick pour les scènes d’extérieur. C’est en tout cas le signe que le film Shining est une œuvre pleinement kubrickienne, qui ne peut être comprise que dans le contexte des autres films du cinéaste, marqués par un travail acharné – qui rendait fous tous les gens qui travaillaient pour Kubrick, qui battait les records du nombre de prises pour chaque scène.
Ce qui obsédait Kubrick, c’était aussi bien l’efficacité de son film que l’élaboration esthétique de chaque scène, avec une relation précise entre la bande-son et l’élaboration maniaque des images, comme un grand peintre.
Paradoxalement, l’efficacité de Shining est d’autant plus frappante que les scènes explicites sont rares. C’est la suggestion qui concourt à renforcer le stress et l’inquiétude du spectateur : par exemple la balle de tennis qui roule tout à coup au milieu d’un couloir vide ou l’effet étrange provoqué par le steadicam (un dispositif mécanique inventé par Garrett Brown pour stabiliser une caméra portée en marchant voire en courant) suivant (près du sol et en caméra subjective) l’enfant sur sa voiture à roulette dont le bruit, alternant moquette ou tapis et carrelage, évoque une série de roulements de tambour.
Il s’agira donc ici de se concentrer non pas sur la comparaison entre le roman et le film, mais d’analyser la construction du film, qui s’est totalement émancipé du roman même s’il en a bien sûr repris beaucoup d’aspects, à commencer par les personnages principaux, Jack Torrance (interprété par Jack Nicholson), sa femme Wendy (Shelley Duvall) et leur fils Danny (Danny Lloyd).
Comme toutes les grandes œuvres du XXe siècle, le film Shining est une œuvre ouverte, pour reprendre l’expression qu’Umberto Eco a donné à son essai (L’œuvre ouverte, 1965, traduction de l’édition originale parue en 1962 en Italie) : sa qualité artistique se mesure à la quantité d’interprétations qu’elle peut susciter et surtout au fait qu’on ne peut pas établir une explication définitive. Certes, il y a des limites à l’interprétation (titre d’un autre essai d’Umberto Eco), puisque certaines analyses sont invalidées par des faits (textuels ou cinématographiques), mais il en restera toujours plusieurs possibles.
Dans cet article, il s’agira simplement de mettre en perspectives les aspects du film qui me semblent les plus importants et quelques autres plus difficiles à percevoir mais qui peuvent donner une signification intéressante ou expliquer le plaisir qu’on prend à voir ce film et même à le revoir de nombreuses fois.
Les premières clés pour comprendre les films de Kubrick sont à rechercher dans trois de ses passions : pour les échecs, pour la photographie et pour la musique classique.
Garrett Brown équipé du steadicam de son invention sous l'œil de Kubrick lors du tournage de Shining. Cette photo est empruntée à l'ouvrage Stanley Kubrick. Dossier positif-Rivages, (éditions Rivages, Paris/Marseille, 1987).
Kubrick est né dans le Bronx en 1928 (ce n'est que dans les années 1960 qu'il s’est installé en Angleterre). Peu intéressé par l’école, il a développé une passion pour les échecs – un jeu qui est peut-être en rapport avec son goût pour les enchaînements minutieux et magistraux qu’on retrouve dans ses scénarios, notamment dans L’Ultime razzia (The Killing, 1956). Kubrick étant connu pour avoir été un perfectionniste ultime, l’histoire de ce film pourrait presque être vue comme une mise en abyme : la préparation, le réglage et le timing du vol virtuose de la caisse du champ de course peut évoquer la précision inouïe du tournage du film qui en montre tous les rouages au spectateur... mais qui ne peut jamais en maîtriser l’issue (il faut arriver à la dernière séquence de L’Ultime Razzia pour comprendre), comme si la passion de comprendre, d’expliquer et de montrer un enchaînement déterministe d’actions (comme la trajectoire des boules de billard qui est prévisible) restait vouée à l’échec : parce que le destin reste inaccessible ou parce qu’il n’existe pas ? En tout cas, tout semble écrit à l’avance dès la séquence d’ouverture de Shining, quand le spectateur voit une voiture unique monter vers l’hôtel Overlook, perdu dans les immenses paysages désolés et déserts de la haute montagne en automne, dans une ambiance rendue encore plus lugubre par la vue aérienne qui déshumanise la scène et surtout par la musique (une composition originale de Wendy Carlos et de Rachel Elkind) qui répète une suite de sons lents, religieux mais tragiques car circulaires donc sans issue, à moins de bénéficier d’une aide surnaturelle.
La deuxième passion de Kubrick, pour l’image, lui est venue quand il avait treize ans : lorsque son père lui a offert un appareil photo… De là était né son souci du détail pour les cadrages, pour différents effets visuels obtenus par des moyens techniques puis, plus tard, pour les mouvements de caméras – c’est ce qui fera l’efficacité de Shining et son caractère révolutionnaire. Kubrick a en effet voulu utiliser des dispositifs nouveaux à l’époque et notamment le steadicam, par exemple pour filmer les déplacements de l’enfant dans les couloirs. Si Kubrick s’était contenté d’utiliser les rails du travelling, cela aurait empêché de voir l’enfant rouler à vive allure avec sa voiture à pédales sur les motifs géométriques abstraits de la moquette, qui donnent un sentiment de vertige ou de changement d’univers. Surtout, le spectateur n’aurait pas ressenti la puissante impression d’une caméra subjective, comme si ces scènes étaient vues à travers le regard d’un personnage non encore dévoilé mais effrayant, comme tout ce qu’on ne voit pas et ce qui voit sans être vu. Il faut mentionnant aussi l’étonnant effet de zoom sur le labyrinthe végétal, passant de la maquette au labyrinthe réel presque sans rupture perceptible, à une époque où les images de synthèse étaient encore loin d’exister).
Danny sur sa voiture à pédales dans les couloirs de l'hôtel, avec des effets visuels et sonores sophistiqués.
Son souci du détail s’est appliqué à d’autres aspects de ses films, et notamment aux bandes-son. Son utilisation de la musique classique est célèbre, par exemple dans Orange mécanique où l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini rend encore plus burlesque une orgie filmée en accéléré, tandis que la Musique pour les funérailles de la reine Mary de Purcell est rendue encore plus solennelle et étrangement inquiétante par l’apport des sons électroniques du synthétiseur de Wendy Carlos (née Walter Carlos). C’était audacieux et innovant pour un film sorti en 1971, soit un an après le premier album du groupe allemand Kraftwerk qui a popularisé la musique électronique dans le monde à partir de 1974. Wendy Carlos a eu – avec Rachel Elkind-Tourre – un rôle important pour la bande-son de Shining, par exemple en adaptant au vocodeur (voice coder en anglais : « codeur de voix ») le dernier mouvement de la Symphonie fantastique de Berlioz. Des musiques de Bartok et surtout de Penderecki ont été utilisées pour les moments les plus terrifiants.
Jack Nicholson interprétant Jack Terrance dans Shining : le rôle culte de sa carrière.
Kubrick aime les mélanges improbables ou plus exactement l’altération des grands genres. Il en a visité plusieurs, de la science-fiction avec 2001 l’Odyssée de l’espace (1968) au film historique avec Barry Lyndon (1975, d’après un roman de William Makepeace Thackeray), en passant par le péplum avec Spartacus (un film de 1960 avec Kirk Douglass consacré à l'emblématique révolte des esclaves romains), la comédie de mœurs tournant au mélodrame dans sa version de Lolita (1962), les films de guerre avec Les Sentiers de la gloire (un film sur la Première Guerre mondiale, tourné en 1958 et interdit en France pendant plus de dix ans à cause de la vision réaliste sans concession qu’il donnait de l’armée française qui a fusillé pour l’exemple beaucoup de ses propres soldats suite à un jugement expéditif) et Full Metal Jacket (un film de 1987 sur la guerre du Vietnam), sans oublier le dernier opus, l’étrange Eyes Wide Shut (« les yeux grands fermés »), un mélange de drame érotique et de thriller ésotérique.
De même, Shining joue sur la référence à plusieurs genres.
Shelley Duvall, Danny Lloyd et Scatman Crothers visitant les cuisines de l'hôtel Overlook.
D’abord, Shining semble vouloir emprunter certaines caractéristiques du genre policier, avec une présentation méthodique des données de base dès le début du film : la visite de l’hôtel permet de présenter tous les lieux, les personnages, les objets et les circonstances qui auront un rôle, un peu à la manière d’Agatha Christie dessinant le plan du train dans Le Crime de l’Orient-Express.
Cependant, le film bascule rapidement dans le surnaturel et s’inscrit dans le registre fantastique (que Tzvetan Todorov, dans Introduction à la littérature fantastique, définit par une hésitation entre deux interprétations : rationnelle d’une part et surnaturelle d’autre part), dans la mesure où le spectateur hésite entre de nombreuses hypothèses explicatives :
Danny parlant avec son doigt devant un miroir. Un don inquiétant ou rassurant ?
En tout cas, Danny semble bien avoir des dons de médium : il voit le passé comme le futur et il a le « shining » : le don d’avoir des conversations sans ouvrir la bouche, tout comme le chef cuisinier Dick Halloran.
Le cuisinier Dick Halloran prenant Danny à part pour lui parler très sérieusement de leur don commun et pour le mettre en garde afin de le préparer à ce qui va suivre.
L’univers temporel du film semble également résister à toute tentative de rationalisation. En effet, la configuration spatiale du labyrinthe, évoqué à plusieurs reprises (par exemple Wendy désigne la cuisine comme « un si énorme labyrinthe », lors de la visite de l’hôtel), correspond peut-être à la configuration temporelle du film : le déroulement temporel du film complexifie les parcours entre le passé et le présent, notamment quand le serveur de l’hôtel dit de façon énigmatique à Jack : « Vous avez toujours été le gardien » tandis que la dernière image du film est un zoom sur une photo ancienne (de 1921) où l’on reconnaît en effet le visage de Jack à une autre époque. D’ailleurs, la représentation du temps dans le film relève aussi d’une sorte d’effet de zoom (comme quand on passe de la maquette au labyrinthe végétal réel) lorsque les indications de temps passent des semaines aux jours puis aux heures, avec un effet dramatique évident d’accélération des événements.
Cependant, si la dernière image du film a une fonction signifiante forte (Youri Lotman, dans La structure du texte artistique, expliquait que le début d’une œuvre a pour fonction d’installer des codes de lecture, à l’inscrire dans un genre par exemple, tandis que la fin a pour fonction de donner du sens), nous pouvons risquer d’autres hypothèses explicatives.
La photo sur laquelle se termine le film, montrant Jack en 1921, le jour de la fête nationale américaine.
La photo finale du film, énigmatique car donnant un sens irrationnel à l’histoire, suggère aussi un arrière-plan tangible de l’histoire des États-Unis d’Amérique par sa date : le 4 juillet, qui est la fête de l’indépendance des États-Unis, donc la fête nationale.
Le film propose en effet d’autres références aux mythes américains, aux genres cinématographiques qui les célèbrent et à la mauvaise conscience qui peut aller avec.
En effet, si la conquête de l’ouest est un thème clef à la fois de l’histoire américaine et de son cinéma, du western au road movie, la relation des WASP (White Anglo-Saxon Protestants) aux Amérindiens (combattus, déportés et acculturés) en est la question la plus sensible. Or c’est justement sur les vestiges d’un cimetière indien que l’hôtel Overlook a été construit, tout comme la nation américaine s’est établie sur les territoires des nations amérindiennes qui en ont été spoliées et affamées – notamment par la chasse massive des bisons qui constituaient la base de l’économie des peuples amérindiens nomades (donc une partie de ces peuples). Un indice éventuel (conscient ou inconscient) de l’attention de Kubrick au génocide des Amérindiens se trouve sur une boite de conserve visible lors de la visite des cuisines : on y lit distinctement « Calumet » au-dessus d’une coiffe amérindienne.
La boite de conserve « Calumet » évoquant peut-être les Amérindiens juste derrière le personnage.
Le pull de Danny, représentant la fusée Apollo 11 qui a permis le débarquement d’hommes sur la Lune, complète encore la référence au mythe américain de la conquête de territoires nouveaux. Kubrick a d’ailleurs été associé malgré lui aux premiers pas de l’homme sur la Lune puisqu’une rumeur persistante prétend que c’est lui qui aurait filmé ces images, dans les décors prévus pour 2001 L’Odyssée de l’espace.
Le pull de Danny qui évoque la mission Apollo 11 (donc les images des hommes foulant le sol lunaire).
En tout cas, d’entrée de jeu, ce thème de la conquête est associé à une malédiction – en plus de celle qui est suggérée par la construction de l’hôtel sur un ancien cimetière amérindien –, quand Jack raconte une histoire de pionniers ayant sombré dans le cannibalisme lors de la ruée vers l’or, alors qu’ils étaient eux aussi bloqués par la neige. On peut d’ailleurs remarquer le redoublement de la blancheur (celles des Blancs confrontés à la neige encore plus blanche) pour évoquer un fait habituellement attribué aux Noirs par l’imagerie raciste issue du colonialisme.
L’histoire des États-Unis est en effet marquée aussi par le destin des Noirs, en l’occurrence des Afro-Américains. Or celui qui est vu dans un film comme l’archétype du Noir, est un personnage-clé, détesté par le diabolique Lloyd, qui redoute l’intrusion d’un « Nègre » dans leurs affaires. Si Dick Halloran peut en effet représenter les Afro-Américains, ce n’est donc pas tant par la couleur de la peau de l’acteur (Scatman Crothers) que par ce qu’il représente aux yeux des autres et à ses propres yeux : quand on le voit dans sa chambre, des photos de femmes dont les cheveux sont coiffés à la coupe « afro » sont caractéristique de la lutte politique pour les droits civiques.
Une des deux photos de femmes arborant une coupe « afro » dans la chambre de Dick Halloran.
Le thème de la faute est omniprésent dans le film, en lien avec des questions ethniques – quand il est question du « péché des Blancs » – mais aussi de façon plus générale avec la question de la culpabilité : le personnage principal mesure mal les limites de son autorité puisqu’il a déjà cassé le bras d’un élève ou de son fils ; il veut justement savoir « qui paie ses additions » ; l’ancien gardien fait une tache sur le même personnage, comme pour transmettre la faute qu’il avait commise en agressant ses propres filles ; un fleuve de sang coule subitement dans les couloirs symboliques de cet hôtel, représentant l’oubli, la négligence ou l’indifférence (l’un des sens possible pour « Overlook ») par rapport à un passé honteux.
L'hôtel Overlook du film : c'est le Timberline Lodge (un hôtel de montagne dans l'Oregon) a servi de décor aux scènes d'extérieur mais les scènes d'intérieur ont été tournées en studio.
De la faute au complot machiavélique, il n’y a qu’un pas, que certains complotistes ont franchi à pieds joints. C’est bien sûr fantaisiste mais très intéressant d’un point de vue fictionnel : les complotistes sont des romanciers qui s’ignorent. Un article du New York Times a d’ailleurs même créé un néologisme pour désigner les théoriciens du film Shining : les « shinologists ».
Ceux qui pensent que Kubrick a filmé l'arrivée d'Apollo 11 sur la Lune grâce aux décors du film 2001 l’Odyssée de l’espace ont pensé aussi qu'il y en avait des indices dans ses films, notamment dans Shining : dans une scène, Danny porte un pull représentant la fusée Apollo 11, tandis que la fameuse et effrayante chambre 237 – numéro choisi par Kubrick puisque dans le roman le numéro était 217 – désignerait la distance moyenne entre la Terre et la Lune, exprimée en miles... L’interdiction absolue d’entrer dans la chambre 237 renverrait alors au secret bien gardé du tournage des images du premier homme sautant sur la Lune.
L'entrée de la chambre 237, qui a suscité des interprétations diverses.
C’est pourquoi un documentaire réalisé par Rodney Ascher en 2012 s’intitule Room 237. Bien sûr, l’hypothèse d’un film tourné secrètement par Kubrick pour la NASA reste une pure spéculation, en l’absence de toute preuve digne de ce nom.
Leon Vitali, qui a travaillé avec Kubrick, a ainsi jugé que le documentaire Room 237 était « un tissu d’inepties ».
En revanche, l’interprétation de la récurrence du nombre 42 dans le film est beaucoup plus crédible et les sites qui la rejettent dans le complotisme font une erreur (par manque de connaissances ou de vérifications). Nous allons voir pourquoi. Pour l’interpréter de façon sûre, il ne suffit certes pas de remarquer que ce nombre est présent sur un autre pull de Danny, dans le titre d’un film qu’il regarde avec sa mère (Un été 42) voire dans le budget du tournage (42 millions de dollars) et même dans le résultat de la multiplication des chiffres composant le fameux numéro 237, associé au meurtre ou encore dans le nombre des voitures présentes sur le parking au début du film : pour affirmer qu’il peut s’agir d’une allusion à l’année (1942) où a été programmée la « solution finale » par Hitler, il faut des indices plus solides. Or on sait qu’à l’époque du tournage, Kubrick lisait un ouvrage historique de Raul Hilberg : La destruction des Juifs d’Europe. Michael Herr l’explique dans C'était Kubrick, (version français traduite de l'anglais par Erwann Lameignère, parue chez Séguier en 2021, d’après la version américaine originale parue en 2000). Autre indice de l’attention portée par Kubrick à cet événement historique : la marque de la machine à écrire associée à la folie de Jack (il y tape la même phrase sur des centaines de pages) est d’une marque allemande, Adler, signifiant « Aigle », oiseau qui symbolise d’ailleurs aussi bien les États-Unis que l’Allemagne.
En tout cas, toutes ces théories – fantaisistes pour les unes et très étayées pour les autres – prouvent au moins une chose : Shining est un très grand film fantastique, dont l’élaboration formelle très sophistiquée a réussi à intégrer – à faire tenir ensemble – un nombre incroyable d’interprétations potentielles et d’approches esthétiques ou émotionnelles.
La machine à écrire associée à la folie de Jack (de marque Adler, avec l'aigle allemand).
La fin de Shining est particulièrement déroutante. Elle participe sans doute à la magie de ce film dans la mesure où elle laisse en suspens une question primordiale et donne l’impression de n’avoir finalement pas compris ce film, donc le désir de le revoir encore.
Or Kubrick avait imaginé une autre fin : une scène qui aurait pris place après le zoom sur la photo de 1921. D’ailleurs, les deux acteurs qui ne figuraient que dans cette scène apparaissent toujours au générique. Si vous le souhaitez, vous en saurez davantage en lisant cet article.
Il faut surtout retenir la raison pour laquelle Kubrick l’a finalement retirée : après avoir assisté à une projection publique en étant très attentif aux réactions de son public, il a voulu interrompre le film sur le paroxysme de l’effet fantastique généré par la photo.
Le nom de Jack Nicholson devant une cabine de plage des Planches de Deauville
(ville normande qui accueille chaque année le Festival du cinéma américain).